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catastrophe qu’annonçait aux Turcs, avec des métaphores bibliques, lord Salisbury ; c’est elle qui a limité et finalement arrêté la crise. Mais aujourd’hui, les deux alliées sont devenues l’une et l’autre les amies de l’Angleterre.

Nous avons vu comment le discours du baron d’Æhrenthal a soulevé en Russie un vif mécontentement ; l’entente austro-russe qui maintenait, depuis 1897, la paix et le statu quo dans les Balkans, s’est trouvée rompue. Le Cabinet anglais a pris alors l’initiative d’une note demandant des réformes sérieuses en Macédoine ; puis il a laissé la Russie passer au premier plan et s’est rallié aux propositions de M. Isvolski en masquant adroitement sa manœuvre par une note assez rogue. Parmi les puissances, un groupement se formait donc et semblait se préparer à un rôle prépondérant dans les Balkans : la Russie, plus directement intéressée, avait la direction ; son alliée la soutenait ; l’Angleterre N se ralliait ; on croyait l’Italie dans le jeu. La parade du prince de Bülow fut très habilement conçue, dans le style classique de l’escrime diplomatique : l’Allemagne, pour neutraliser la combinaison qui paraissait tournée contre elle, y est entrée ; elle a accepté le programme russe : son influence à Constantinople, elle l’emploiera à faire aboutir les réformes pratiques proposées par la Russie, elle fera entendre à Abdul-Hamid que l’Europe est lasse de sa tactique de temporisation et d’inertie. Guillaume II tient, à tout prix, à retenir la Russie que le baron d’Æhrenthal a mécontentée, rejetée vers l’Angleterre, et qu’alarme la poussée vers Mitrovitza et Salonique : de Corfou, où il s’est installé dans son Achilleion, il surveille et dirige, allant visiter les premiers rôles, faisant venir les comparses ; il prépare la mise en scène, peut-être le coup de théâtre. Le prince de Bülow se multiplie ; il cause, à Vienne, avec M. d’Æhrenthal et l’engage à accepter le principe de la note russe ; il voit M. Tittoni et l’apaise ; il visite le Pape dans l’espoir de rendre le « bloc » plus malléable, les Polonais moins rétifs et Victor-Emmanuel plus souple. Les réformes se feront donc, si le Sultan se laisse persuader par le baron Marschall ; elles se feront sur un programme russe recommandé par l’Allemagne et, bon gré mal gré, par l’Autriche et par l’Italie ; la France appuiera avec plaisir son alliée ; l’Angleterre suivra. La parade, on le voit, ne va pas sans riposte. Mais n’y aura-t-il pas contre-riposte anglaise ?

Si le Sultan, mal éclairé sur ses propres intérêts, résiste,