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De tous les peuples, les Français sont peut-être celui qui a témoigné le plus de pitié pour l’enfance malheureuse ; ce trait de caractère a frappé tous les étrangers, qui ont résidé quelque temps parmi nous. C’est en France qu’ont paru les plus dévoués patrons de l’enfance : saint Vincent de Paul et le vicomte de Melun, sœur Rosalie et Mme de Lamartine, Firmin Marbeau et Théophile Roussel, pour ne citer que les morts. Sous l’impulsion de ce dernier, on s’est, depuis 1871, occupé avec zèle du sauvetage de l’enfance maltraitée ou en danger moral ; crèches, asiles, garderies se sont multipliés ; le placement familial à la campagne, soit permanent, soit pendant les vacances, s’est développé sur une large échelle. Ce mouvement d’opinion en faveur de l’amélioration du sort des enfans est devenu si fort qu’il a entraîné le Parlement et, depuis 1889, les représentans du pays ont complété la législation sur l’enfance par des lois nouvelles ou corrigé les anciennes dans un sens plus humain.

Cependant, les étrangers nous devançaient ou marchaient sur nos traces : le docteur Wichern fondait près de Hambourg le Rauhe Hans, qui a servi de modèle à notre Mettray ; le docteur Barnardo et le Père Newton organisaient le sauvetage de l’enfance en Angleterre ; l’Américain Ch. L. Brace fondait la Children’s Aid Society ; Mme Hierta Retzius ouvrait ses asiles-ouvroirs à Stockholm. Suivant ce mouvement, les parlemens étrangers ont voté des lois sur la tutelle, créé des tribunaux d’enfans et ouvert des établissemens pédagogiques, appropriés aux différentes situations. En effet, à mesure que la charité devenait plus ingénieuse, on tria les enfans en catégories séparées, de manière à éviter la contagion du vice et à appliquer des remèdes mieux appropriés aux divers degrés de misère. On en admet généralement quatre : 1° Enfans sans foyer (orphelins ou abandonnés) ; 2° Enfans d’éducation négligée ou en danger moral ; 3° Enfans vicieux ou dépravés ; 4° Enfans déjà criminels et dangereux pour leurs semblables.

Il s’est établi, de la sorte, entre la France et les pays d’Europe et d’Amérique une émulation féconde pour la protection légale et l’amélioration morale de l’enfance. On comprend de plus en plus aujourd’hui qu’il n’est pas possible de traiter des enfans délinquans de quatorze à seize ans comme des criminels responsables, car le délit et même le crime, chez l’enfant, supposent presque toujours une tare chez les parens ou ascendans.