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dépendaient de sa seule volonté. C’est ce que Buffet et Daru avaient accepté comme tous, et ce qui, dès lors, paraissait acquis irrévocablement.


III

L’introduction dans le sénatus-consulte du droit plébiscitaire sous sa double forme facultative et obligatoire provoqua aussitôt une ardente polémique. Deux courans d’opinions contraires se dessinèrent. Pas de plébiscite sous aucune forme ! dirent les républicains et les parlementaires orléanistes. C’était, selon les premiers, confisquer le pouvoir constituant au profit de César sous prétexte de le restituer au peuple. C’était, selon les seconds, renverser le fondement du système parlementaire d’après lequel le peuple n’agit que par ses représentans. La Droite, au contraire, approuva chaleureusement la consécration par le vote populaire. Mais il ne suffisait pas qu’il fût possible dans l’avenir, elle réclamait un plébiscite immédiat, et elle reprenait l’argumentation de Rouher : Le sénatus-consulte proposé est incompatible avec les bases plébiscitaires de 1852 ; il serait frappé d’une caducité irrémédiable si un nouveau plébiscite ne le ratifiait.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’un matin Daru vint m’interrompre au milieu de mon travail et me dire que, réflexion faite, il croyait indispensable lui aussi un plébiscite immédiat. Il n’était pas frappé par l’argument juridique, car il n’avait pas l’esprit juriste ; il était décidé par une considération de prévoyance politique : si le système nouveau n’était garanti que par un sénatus-consulte, son existence n’aurait pas la même solidité que s’il était consacré par un verdict populaire solennel. Il me prévint qu’il allait faire une démarche dans ce sens auprès de l’Empereur et me demanda de le soutenir. Je lui répondis que j’étais complètement de son avis, comme jurisconsulte et comme homme politique, mais que la question avait déjà été débattue entre l’Empereur et moi, qu’il m’avait imposé, comme condition de la réforme constitutionnelle, qu’il n’y aurait pas de plébiscite, et que, dès lors, je ne pouvais l’aider que de mes conseils et de mes vœux.

Lui-même, d’ailleurs, avait pu constater dans les observations échangées avec Buffet combien l’Empereur répugnait à cette mesure. Néanmoins, Daru ne s’étant pas engagé à l’abstention,