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il commença aussitôt une campagne. Après chaque entrevue, il venait me raconter où il en était ; je l’encourageais et lui fournissais des argumens. Les amis de l’Empereur, de leur côté, le pressaient d’adopter le parti ainsi préconisé par Daru sans qu’ils le sussent. L’Empereur, ébranlé par cette double action, fléchit, mais voulut, avant de se décider, savoir comment j’accepterais son changement d’opinion. Il me confia sous le sceau du secret que ses amis s’accordaient à lui conseiller de faire un plébiscite, et que Daru l’y engageait aussi : « Consentiriez-vous à ce plébiscite ? — Votre Majesté sait que mon opinion de jurisconsulte est qu’un plébiscite est indispensable. Seulement, moi, je ne cours aucun risque. Si le plébiscite est mauvais, je rentrerai chez moi, et tout sera dit. Mais que ferait Votre Majesté ? » Il réfléchit une minute, puis me dit : « Qui ne risque rien n’a rien. — Eh bien, soit ! répliquai-je, risquons ! » Le soir même, Daru vint chez moi m’annoncer, comme une victoire dont il était fier, qu’il avait obtenu gain de cause.

Le Centre gauche était en effervescence. La consécration du droit plébiscitaire par le sénatus-consulte lui déplaisait fort. Ce déplaisir devint de la colère à la rumeur répandue, par suite d’indiscrétions, que le plébiscite allait cesser d’être une hypothèse théorique et devenir une réalité imminente. Le 1er avril, il se réunit et, à l’issue de cette réunion, Thiers m’écrivit : « Mon cher collègue, j’ai assisté hier à la réunion du Centre gauche (où je ne vais que très accidentellement) parce que je n’ai pu résister aux pressantes invitations qui m’ont été adressées. J’ai trouvé toutes les opinions faites ; je n’ai parlé d’ailleurs que le dernier, et exclusivement sur le plébiscite qu’on dit prochain. On a formé une commission pour vous faire part de ce qui s’était passé, et j’ai refusé d’en faire partie par un sentiment de réserve envers le ministère que vous comprendrez ; mais je suis à votre disposition pour vous dire, de mon côté, l’état vrai des choses. Je me borne à vous l’offrir, car je ne suis pas, comme vous le savez, donneur de conseils. Je n’ai parlé qu’à vous de vos affaires qui sont aussi les nôtres, et je ne vous ai parlé que d’une seule, celle de Rome qu’un hasard de conversation avait fait naître entre nous. Ne voyez donc, dans ce que je vous écris ici, que ce qui s’y trouve, une démarche de loyauté et non d’ingérence. J’ai désiré, je désire et ne cesserai de désirer le maintien du ministère. Recevez mes cordiales amitiés (2 avril). » Le 2 avril,