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l’approbation des Chambres, c’est, en réalité, le supprimer. N’est-ce pas manquer à votre parole ? D’ailleurs, aujourd’hui, il n’y a pas lieu à discussion, nous ne pouvons plus reculer ; c’est au ! conseil du 28 mars, alors que personne n’était encore engagé, quand l’Empereur nous a dit : Sommes-nous tous d’accord ? et que nous avons répondu : Oui ; c’est à ce moment qu’il fallait proposer votre ultimatum. Qu’avez-vous fait, au contraire ? Vous êtes venu vous asseoir au banc des ministres au Sénat, entendre la lecture du sénatus-consulte dans lequel le droit d’appel au peuple était inscrit sans la restriction que vous voulez maintenant imposer. Est-ce loyal ? » Sur quoi Buffet m’interrompt vivement : « Mais, alors, il n’était pas question d’un plébiscite immédiat. — Qu’importe ? puisque vous acceptez le plébiscite actuel sans approbation préalable des Chambres, et que ce sont les plébiscites futurs seuls que vous voulez réglementer ? Vous aviez le droit de vous retirer quand on a proposé le plébiscite actuel ; vous n’avez pas celui de contester aux plébiscites futurs une plénitude que vous avez acceptée avant la présentation du sénatus-consulte. Si nous nous retirions, nous ressemblerions à ce Liborio Romano qui, après avoir poussé son souverain dans la liberté, s’est servi de cette liberté pour le livrer à ses ennemis. » Segris m’appuya avec une rude éloquence. « Nous retirer, dit-il, ce serait manquer à l’honneur. » Tous nos collègues s’unirent à nous. Buffet, de plus en plus roidi, ne voulut rien entendre. Le soir nous nous retrouvâmes à dîner chez le maréchal Le Bœuf. Les insistances recommencèrent auprès de Buffet. Il y répondit d’une manière si âpre que Daru sortit, et j’en fis autant.

Le 9 avril, à neuf heures du matin, Buffet vint me voir : il avait passé la nuit en réflexions ; toute sa vie, il serait poursuivi par un remords s’il consentait à ce qu’il considérait comme la destruction du système parlementaire auquel il était passionnément dévoué. Une explication eût été superflue. Je répondis que sa retraite serait un malheur pour notre Cabinet et que je croyais qu’il se trompait. Il se rendit aux Tuileries : « L’Empereur, a-t-il écrit à un ami, lorsque je lui ai porté ma démission, a été très affectueux. Il m’a témoigné à plusieurs reprises le regret que lui causait ma retraite et m’a demandé si ma détermination était irrévocable ; il n’en a pas paru surpris, et il est évident pour moi qu’il s’y attendait. Du reste, il est impossible d’être mieux qu’il ne l’a été pour le ministère pendant tout le