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à Mitau une existence relativement heureuse. On écrivait de Paris que Barras s’amadouait, ou que Bonaparte ne reviendrait d’Egypte que pour remettre le Roi sur le trône. On ralliait d’autre part le duc d’Orléans, étouffant ainsi dans l’œuf la faction d’Orléans renaissante, avait-on dit, et enfin on mariait décidément le duc d’Angoulême à sa cousine.

La princesse avait rejoint le Roi et son fiancé cousin. Celui-ci, empêtré dans sa timidité, avait jusque-là emprunté la plume du Roi : il sut cependant, soufflé par Louis XVIII, faire son compliment et naturellement fut agréé. Cette fille de France joue ici un beau rôle : elle est à cette heure pleine de cœur sans exagération et de sagesse pondérée. Elle apportait, en 1798, à la petite colonie de Mitau, quelque réconfort, sinon de la gaieté : car « l’orpheline du Temple » était autorisée à n’être point gaie. Mais si mûrie qu’elle fût avant l’âge, elle était jeune, et d’ailleurs rappelait au Roi la seule conquête qu’il eût faite en émigration.

Il lui fallait cette compagne pour le consoler d’une autre arrivée : celle de sa femme. Elle s’était décidée à le rejoindre à Mitau. Mais acariâtre, bizarre, d’étrange allure et nourrissant contre son mari des griefs dont nous soupçonnons le secret, elle mit dans la vie du pauvre Roi un souci de plus. Aussi s’empressera-t-il, le jour où il gagnera l’Angleterre, de la laisser en Courlande où elle mourra le 18 novembre 1811, de touchante façon, paraît-il ; Blacas écrira alors au Roi que l’excellente princesse « n’a été véritablement connue et appréciée qu’au dernier moment, » ce qui peut-être était un peu tard.

De plus grandes épreuves furent l’avènement de Bonaparte, son formel refus de restaurer la monarchie, la brutale expulsion de la « Cour de France » jetée hors de Mitau par le caprice de Paul Ier, les succès grandissans du Premier Consul, les misères ulcérantes de la camarilla réfugiée à Varsovie, sans prestige, sans argent, réduite aux humilians retranchemens. Ce fut la plus affreuse époque pour Louis XVIII exilé. C’est peut-être en ces circonstances lamentables que ce prince s’impose le plus à notre estime. Il ne se décourage point : loin de là, il soutient par sa gaieté dans les pires maux la « famille » et la « Cour. » Il ne cède sur rien, et si Bonaparte « usurpe » son trône, « le Roi » n’hésite pas à se faire expulser de Varsovie en 1804 par le roi de Prusse, plutôt que de renoncer à protester solennellement de son