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journaux la promirent pour le mois suivant ; et cette série d’articles et d’annonces, s’ajoutant aux manœuvres personnelles de Voltaire et aux démarches de ses amis ou agens, aboutirent à un résultat qui dépassa toutes les prévisions. Lorsque les listes de souscription s’étaient ouvertes, quelques mois auparavant, personne en Angleterre n’avait semblé désireux d’acquérir un poème épique sur les guerres de la Ligue, écrit dans une langue étrangère par un inconnu : lorsque la Henriade fut mise en vente, vers le milieu de mars, les listes contenaient les noms de 344 souscripteurs, dont la plupart ne s’étaient décidés qu’au dernier moment ; et parmi eux figuraient, à la suite du Roi et de la Reine, les plus hauts personnages du parti de la Cour. Le poème avait beau être écrit en français : l’auteur avait réussi à le faire admettre du public anglais comme une œuvre s’adressant expressément à lui, et presque composée à son intention. La dédicace anglaise à la reine Caroline, en particulier, avec son mélange de liberté et de déférence, comparant la femme de George II à la grande Elisabeth, et lui confiant le soin de « protéger la mémoire d’Henri IV, » avait été appréciée et goûtée unanimement : d’autant plus que tout le monde savait que Voltaire avait d’abord dédié son poème à Louis XV, et que c’était un élan spontané de son cœur qui, ensuite, l’avait forcé à remplacer le nom de son roi, en tête de la Henriade, par celui d’une princesse infiniment plus digne d’un pareil hommage.

La Reine répondit à l’hommage désintéressé du poète en lui faisant remettre une somme d’argent dont le chiffre exact n’a pu être établi, mais qui, sûrement, a dû s’élever pour le moins à 500 livres sterling. Chez les libraires de Londres, la vente de l’édition populaire in-octavo produisit, en quelques semaines, plus de dix mille francs. Et voici que, au moment où cette vente menaçait de fléchir, une aventure survint qui, par le bruit qu’elle fit, contribua singulièrement à ramener l’attention du public sur la Henriade et sur son auteur ! Celui-ci, par pure bonté d’âme, avait autorisé un petit libraire de Newport Street, appelé Coderc, à imprimer, pour son compte, une édition du poème ; et il se trouva que Coderc, au lieu de publier lui-même cette édition, avait cédé l’autorisation, qu’il tenait de l’auteur, à un de ses confrères, un certain Prévost. Si bien que Prévost, dès la fin de mars 1728, annonçait dans le Daily Post la prochaine publication d’une édition de la Henriade « où l’on trouverait, pour la première fois, le texte complet et authentique du manuscrit de M. de Voltaire. » En réalité, l’édition de Prévost ne différait de l’autre que par l’introduction de six vers du manuscrit primitif, que Voltaire