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avait changés en corrigeant ses épreuves. Aussi l’indignation du poète fut-elle grande, devant cet abus scandaleux de sa charité : elle s’épancha longuement dans les colonnes du Daily Post et de maints autres journaux. Puis, l’impudent Prévost ayant osé répliquer, Voltaire répliqua à son tour. Ainsi la querelle se poursuivit, toujours fournissant à Voltaire de nouvelles occasions de laisser apercevoir, en même temps que sa générosité naturelle et sa légitime colère d’avoir été dupé, l’incomparable mordant de sa polémique. Et déjà Voltaire avait quitté Londres, — après avoir retiré de son séjour en Angleterre plus de fruit que ses espoirs les plus ambitieux n’avaient pu en attendre, — quand le public anglais découvrit que, bien loin que ses sentimens personnels à l’égard de Prévost eussent ou rien d’hostile, les deux compères avaient organisé leur grande querelle en parfait accord, pour assurer à la Henriade un précieux supplément de « publicité. »


Voltaire est reparti de Londres vers le 15 mars 1729, à la suite d’incidens que tous les efforts de M. Churton Collins ne sont point parvenus à élucider : il parait seulement incontestable que ce départ a eu le caractère secret et précipité d’une fuite, et que le poète a dû, tout au moins, en hâter le moment pour échapper à de graves ennuis. « Sûrement, il aura dit ou fait quelque chose qui lui aura valu une inimitié dangereuse. » On a raconté que son dernier protecteur, lord Peterborough, lui avait remis, en plusieurs fois, de fortes sommes pour payer l’impression d’un livre, que Voltaire s’était approprié l’argent, et que le lord, après une explication avec l’éditeur, s’était mis en quête du mandataire infidèle pour lui rompre les os ; mais M. Collins a découvert une lettre de Peterborough, datée du 14 novembre de la même année, où aucune allusion n’est faite à une aventure de ce genre. Le passage concernant Voltaire, dans la lettre, est d’ailleurs curieux, et mérite d’être cité. « Notre politique d’à présent, y lisons-nous, est aussi difficile à expliquer que les résolutions et la conduite de M. Voltaire. Celui-ci, pour le moment, a retiré sa faveur à-la nation et au peuple anglais. Il a pris congé de nous, comme d’une race imbécile qui croit en Dieu et se fie à ses ministres ; et le voici en route pour Constantinople, où il veut se rendre afin de pouvoir conserver sa foi dans les Évangiles, chose qu’il prétend lui être impossible en vivant parmi des chrétiens ! » Ainsi les circonstances du départ du poète restent, pour nous, enveloppées d’obscurité. L’unique document un peu sérieux que