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Bismarck résolut de ne plus attendre et de brusquer le dénouement. Son confident Busch a révélé cette volonté de son héros : « En 1867, Bismarck avait évité la guerre parce qu’il n’avait pas jugé la Prusse assez forte... En 1870, cette difficulté était levée, l’Allemagne était suffisamment armée... Les Arcadiens désiraient la guerre, les ultramontains, l’Impératrice en tête, y poussaient avec ardeur. A vue d’œil, la France fortifiait son armée et préparait des alliances. Si jusque-là on avait pu placer son espérance dans un retard, ce retard devenait maintenant un danger, et de là résultait pour l’homme d’État le devoir de remplacer une politique qui retardait une action décisive par la politique qui précipitait ce qui était absolument inévitable. Dans l’intérêt de l’Allemagne et non moins dans l’intérêt de l’Europe, il fallait trouver un moyen de saisir (fassen), de surprendre les Finançais qui n’étaient pas complètement prêts à la lutte, de manière à les faire sortir de leur réserve[1]. »


II

Bismarck n’avait pas quitté sa retraite de Varzin pour rendre hommage au Tsar lorsque celui-ci se rendit dans les États du Sud. Il en sortit pour assister aux dernières séances du Reichstag de la Confédération du Nord (22 mai). Le lendemain de son arrivée, il prononça un discours sur la peine de mort. Dans une forme un peu confuse, il donna l’argument décisif du maintien de cette peine[2] : c’est que si on l’abolit, il faut créer des tortures pires que la mort elle-même ; l’ergastolo, par lequel les Italiens l’ont remplacé, est la création la plus infernale de supplice qu’ait inventée la cruauté humaine. Mieux vaut s’en tenir à la règle : qui a tué sera tué. Tout à coup, au milieu des considérations humanitaires ou juridiques, il s’écria d’une voix tonnante : « C’est la source où nous puisons le droit d’être rigoureux et d’écraser sous un talon de fer tout ce qui ferait obstacle au l’établissement de la nation allemande dans sa splendeur et sa puissance. » (Explosion de bravos.) On se demanda à qui s’adressait cette menace, on ne douta point que ce ne fût à la France. Peu après, dans la discussion du chemin de fer du

  1. Busch, t. II, chap. I, p. 53 : Unser Kanzler.
  2. Séance du 23 mai 1870. Voir aussi ses discours des 1er, 10 et 25 mars.