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il voulait seulement éviter que son parti puisse lui reprocher de ne pas avoir épuisé toutes les chances de trouver un monarque qui fût majeur, catholique et non Bourbon, Depuis, les allures du gouvernement prussien en Espagne m’ont semblé un peu louches. La légation prussienne a reçu l’ordre de n’envoyer que des dépêches chiffrées. Et puis, comment expliquer la présence à Madrid du major Bernhardi, qui est venu s’y établir après la révolution avec le titre de conseiller d’ambassade ? Ce personnage, qui est, dit-on, un écrivain militaire de mérite, a été fortement mêlé en 1866 aux négociations militaires entre la Prusse et l’Italie. Il passe pour un homme de confiance de M. de Bismarck, et quoique M. de Canitz laisse entendre qu’on a simplement voulu lui donner une position pour récompenser d’anciens services, j’ai toujours été porté à croire qu’il devait être chargé de quelque mission secrète, comme de recueillir, en dehors de la légation, toutes les informations propres à éclairer sa Cour sur les ressources qu’elle pourrait tirer de l’Espagne pour nous nuire dans le cas d’une guerre contre nous. Ses sentimens anti-français, non moins que ses talens, pouvaient en effet le désigner pour un travail de cette nature. Mais s’il a été directement mêlé à une intrigue, comme il se trouve voyager en Portugal au moment où le baron de Canitz demande un congé, ce serait une preuve que cette intrigue est au moins en suspens. Peut-être cependant est-il allé en Portugal étudier la situation et voir s’il n’y aurait pas pour un Hohenzollern moyen de se faire le champion de l’idée de l’Union Ibérique. Alors son voyage ne serait réellement pas étranger à un projet de candidature prussienne. Telles sont les considérations qui me font douter qu’il puisse se tramer en ce moment à Madrid une intrigue pouvant aboutir à quelque résultat prochain, surtout cette intrigue se rapportant à une combinaison que l’opinion publique n’a jamais pu prendre un instant au sérieux et dont je n’ai toujours entendu parler, par les hommes de quelque importance, que comme d’une folie qui, sans profit appréciable, pourrait engager l’Espagne dans toute sorte de compromis dangereux et compliquer ainsi sa situation de la manière la plus grave. D’un autre côté cependant, je vois aussi que, si étrange qu’il puisse paraître que la Prusse veuille risquer une pareille aventure, nous devons d’autant plus nous défier de ses intentions, qu’il pourrait bien arriver qu’elles fussent très encouragées par les circonstances. Pour sortir de