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pour le plus grand nombre, et travaillant surtout par seul amour de l’art. Le Directoire avait pourri la France, et sous le Consulat, comme un restant d’ulcère, le goût de l’espionnage infectait encore les consciences.

La journée du 13 floréal devait être déjà fort avancée quand Dossonville pénétra dans la mignonne maison policière ; son chef le reçut aussitôt, et l’entretien commença.

Sec et dur, concis et cassant d’ordinaire, Davout devenait parfois abondant discoureur, et son langage imagé ressemblait peu, alors, à la rhétorique d’un Fontanes. Lorsqu’il parlait de Bonaparte, son admiration s’exaltait. Un amateur de belles-lettres, son contemporain et d’ailleurs l’un de ses « confidens, » le bon jeune homme Année, nous a transmis un spécimen de cette pittoresque éloquence : « Bonaparte !... jour et nuit, ses pensées n’appartiennent qu’à la France. Jeune encore, il a renoncé aux plaisirs de son âge, aux douceurs de cette vie privée qui a tant de charmes pour lui, et se consacre tout entier à des labeurs sans fin et sans mesure ! Il ne se contente pas de donner à tous l’exemple de travaux assidus, il leur donne également celui des bonnes mœurs. Aucune femme ne fait avec plus de grâce et d’affabilité que Mme Bonaparte les honneurs d’un palais ; mais ni vous ni moi ne convoiterions l’honneur de sa couche : chaque soir Bonaparte y repose... »

Davout gratifia-t-il d’un aussi beau lyrisme le sceptique et narquois Dossonville ? La chose est improbable. En son culte pour la discipline et son horreur des importans, l’altier personnage avait toujours tenu ce sous-ordre à distance. Il le jugeait insubordonné, trop fantaisiste, grand faiseur d’embarras, voulant profiter à lui seul de ses trouvailles, et devinait un ambitieux qui désirait le supplanter. La manie qu’éprouvait cet informateur à ratiociner comme un monsieur d’Académie, à disserter, dans ses rapports, sur les monarchies et les républiques, le « despotisme des palais » ou « la tyrannie de la rue, » lui semblait ridicule, et volontiers il jetait au rebut tout ce fatras philosophique... Il écouta donc avec méfiance le récit d’un gaillard qu’il savait forgeur de mensonges. Au nom de Donnadieu, le général se rebiffa,.. « Conspirateur et assassin, son protégé ? Invraisemblable ! Accusation absurde, même déplaisante pour le protecteur ! Un brave garçon, un cœur loyal, son Donnadieu ! Davout le connaissait ; Davout en répondait ! Au surplus,