Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le soleil déclinait, et le crépuscule embrumait déjà le quartier du Mail, quand l’explorateur pénétra dans la rue du Sentier. La venelle, si tranquille d’ordinaire, était animée, ce soir-là : sur les cailloux de son pavage et devant la maison meublée stationnaient des citadines, des fiacres, des cabriolets... « Tiens, tiens ! qu’était cela ? » Cela, c’étaient les locatis, voitures de citoyens en visite chez Sergent, les sapins des amis, assidus aux réceptions de la divine Emira. Mais Dossonville s’était forgé bien vite une autre hypothèse, et, soupçonneux, il se glissa dans la cour de la pension bourgeoise...

Assise devant le perron de l’hôtel, la concierge avait l’air d’en défendre l’entrée : le maquignon l’interpella ;

— Le commandant Donnadieu ?

— Il ne loge plus ici.

— Bah !... Aurait-il quitté Paris ?

— Je l’ignore.

— Donnez-moi donc sa nouvelle adresse.

Cette fois pour seule réponse un haussement d’épaules... Vraiment trop peu bavarde, la citoyenne, dressée par son propriétaire à se méfier des questionneurs : maison évidemment suspecte !

— Vous demandez le commandant ? interrogea soudain un jeune monsieur qui avait entendu le colloque... C’était un citoyen d’assez pauvre apparence, mais dont la mise prétentieuse et la voyante toilette rappelaient les belles façons du séducteur La Chevardière. Même élégance en son habit gris perle, fatigué pourtant par un long usage ; pareille coiffure adonisée ; semblables « nageoires » assassines : un singe assurément du Brummel jacobin... Désireux de connaître le nom d’un tel olibrius, Dossonville fit semblant de s’être mépris... « La Chevardière ?... » Mais l’autre aussitôt rectifia : « Non : Brière, Alexandre Brière ! ami de Sergent-Marceau et secrétaire de Donnadieu... »

Il paraissait fort ennuyé, ce secrétaire de Donnadieu. La vue de l’homme à polonaise avait effarouché le candide garçon ; il voyait en ce faiseur d’enquêtes un créancier donnant la chasse à son ami ; peut-être un garde de commerce, un recors déguisé qu’il devait à tout prix éconduire. Le trouble de ce naïf intrigua Dossonville :

— Puisque vous connaissez le commandant, apprenez-moi sa nouvelle adresse ; j’ai besoin de lui parler à l’instant.