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choses. Les journaux promettaient au public des splendeurs de costumes, de décors, de figurations : Babylone, la ville aux cent portes, reconstruite, avec ses jardins suspendus, ses bocages où fourmillaient les courtisanes sacrées, ses temples s’ allongeant dans le mystère des palmeraies, ses griffons ailés, ses taureaux de granit à figure humaine, et sous la pure turquoise d’un ciel de Chaldée, des mages, des prêtres, des guerriers, des princesses, des ballerines, chantant, mimant ou dansant, — bref, un spectacle à mettre en pâmoison les peintres, les poètes, les archéologues et autres habits verts de l’Institut ! Mais on parlait aussi d’une menaçante cabale organisée contre l’ouvrage ; on annonçait, pour le débutant, des murmures, des sifflets, du vacarme, tout un charivari où voulaient donner de la voix les jolis « merles de parterre... »

Ils étaient nombreux dans les théâtres de l’an X, ces merles moqueurs et siffleurs, effroi du comédien, désespoir de l’auteur dramatique. Mais les concerts que prodiguaient leurs clefs forées ne se faisaient pas entendre sans riposte ; les bons Romains du lustre y répliquaient par des applaudissemens, et aussitôt s’engageaient de furibondes bagarres. En vain, le génie du Premier Consul avait-il « pacifié la Terre, » — une phrase alors très à la mode, — le Parisien né batailleur n’en bataillait pas moins. Il livrait à présent ses combats sous les quinquets et les argans : on se gourmait à la Comédie-Française, chez Feydeau, à Louvois, dans les théâtres, dans les goguettes. Des injures, des soufflets, des coups de canne commençaient d’ordinaire la fête ; puis c’étaient des clameurs, le bombardement de la scène à coups de petits bancs, sa prise d’assaut par escalade, et la fuite éperdue des acteurs. Mais le Consul entendait la guerre d’une tout autre façon, et sévissait contre ces vaillans. Sa police était brutale. Dans les salles de spectacle, de nombreux agens se tenaient assis au parterre, armés de longs gourdins, assommoirs peints en blanc ; ils se jetaient dans la mêlée, échinaient ceux-ci, empoignaient ceux-là, conduisaient au dépôt les séditieux, parfois même les expédiaient à Bicêtre... « La paix dans toutes les consciences ! » avait proclamé Bonaparte.

Oui, — les gens bien informés l’assuraient, — cette première de Sémiramis n’allait point se passer sans tapage. D’abord, cabale contre l’auteur : la musique du professeur Catel n’avait jamais plu. On la trouvait savante, germanique, « hyperboréenne, »