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dépourvue de tendres ariettes, aidant mal à la digestion d’un plantureux repas. Du reste, avec leurs harmonies qu’on déclarait abstruses, ces messieurs du Conservatoire, Méhul, Gossec, Chérubini, Catel, fatiguaient un public amoureux des flonflons. Ils ennuyaient ; on les ennuierait. Premier grief !... Mais le ténor Roland était surtout visé par les menaces de bacchanale. Manifestation politique, celle-là ! Pourquoi donc un pareil freluquet, encore élève au Conservatoire, faisait-il ses débuts dans un grand premier rôle ? Pourquoi charger de « créations, » à l’Opéra, cet écolier, un inconnu ? Savait-il cadencer les trilles aussi bien que Laïs, le Béarnais sonore ? Clamer, et pousser la note mieux que Layné, favori du parterre ? Non ; mais petite voix, petit talent, petit jeune homme, ce monsieur roucoulait dans les salons de Mme Hortense Bonaparte ! Favoritisme indécent, et qui méritait une leçon ! Aussi, merles siffleurs ou donneurs de rossignolades, tous ceux qui criaient au scandale se proposaient d’offrir un charivari aux protecteurs de ce clampin... Proscrite du Sénat et chassée du Forum, la Liberté, aurait pu s’écrier l’amphigourique Garât, avait trouvé son refuge dans les temples d’Euterpe !


De bonne heure, la « Consulesse » Joséphine était partie pour l’Opéra, mais le Consul ne devait quitter les Tuileries que longtemps après elle. Il était, ce soir-là, absorbé, maussade, très irritable : Ninus avec Ninias l’intéressaient fort peu, et d’avance il jugeait fastidieuses les mélodies du professeur Catel. D’ailleurs, d’assommantes corvées, ces représentations de l’Opéra français !... La musique ! Eh ! oui, il aimait la musique ; mais il la voulait de fabrique italienne, bouffonnante et divertissante, avec des andante faciles pour son oreille, des allegri commodes à sa voix blanche et sans justesse : alors il comprenait, fredonnait, sifflotait. Ah ! si la Grassini avait pu chanter ce soir-là, sans doute la corvée eût paru moins dure ! Mais la diva vocalisait, en ce moment, à Londres, et la criarde Maillart ne la remplaçait pas dans les désirs de Bonaparte. Au surplus, il avait en tête d’autres soucis que la babylonienne Sémiramis.

L’affaire du Consulat à vie le préoccupait. Grosse, très grosse aventure, cette suprême et décisive bataille contre les jacobins ! Son plan de campagne semblait, à l’habile stratégiste, heureusement combiné ; d’exécution facile, de réussite certaine... Le