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pouvait nuire : on sévirait, plus tard !… Tout cela néanmoins était fort inquiétant. Et menacé sans trêve par des poignards, des coups de pistolet, des machines infernales, Bonaparte s’énervait.

Soudain, l’aide de camp de service lui annonça une surprenante visite :… « Le général Menou et un nommé La Chevardière demandaient instamment à parler au Premier Consul. Affaire urgente ! Un guet-apens à l’Opéra ! »


Que se passa-t-il alors entre les deux soldats revenus d’Egypte, le gagneur de batailles et le faiseur de capitulations ? Aucun document d’histoire ne l’a raconté ; mais les événemens qui suivirent l’entrevue permettent de la reconstituer aisément.

Personnage d’importance, Menou fut introduit, le premier, dans le cabinet consulaire. Des paroles aigres-douces, d’ironiques complimens donnèrent sans doute la bienvenue à cet inhabile Abdallah, le vaincu des Anglais et leur prisonnier. Le Consul toutefois ne l’accabla pas de reproches : il ne pouvait, assurément, rudoyer un homme qui accourait lui sauver la vie. Bonaparte d’ailleurs, en sévissant contre cet incapable, se fût, devant la France, condamné soi-même. « Déserteur de l’Armée d’Egypte, » — ainsi le qualifiait la haine de ses ennemis, — ayant abandonné à leur détresse tous ses compagnons de combats, et durant vingt-deux mois les ayant laissés sans nouvelles, sans direction, sans secours, sans espoir, il était, plus encore que Menou, responsable de la défaite, du désastre, de la capitulation ! Aussi, le maître se montra-t-il indulgent pour son dévoué séide : « Vous n’en restez pas moins un homme de cœur et d’expérience : le sort des batailles est toujours incertain… » La bourrasque apaisée, Menou put expliquer les impérieux motifs qui l’avaient amené aux Tuileries : « Garde à vous, mon général ! Ne passez pas, demain, de revue décadaire, et n’allez point, ce soir, à l’Opéra ! »

À son tour, La Chevardière fut entendu.

Jadis créature de Barras, il n’était pas un inconnu pour le Consul. Bonaparte avait pu voir à l’œuvre ce potentat de la police ; il l’appréciait donc à sa juste valeur, et même si complètement qu’il l’avait voulu déporter. Mais, âme sans vaine rancune, La Chevardière protesta de son dévouement, puis révéla, — d’abord ce qu’il croyait savoir, ensuite ce qu’il avait