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— M’arrêter !... Pourquoi ?

— Je vous arrête.

Alors, de sa voix gouailleuse, le révolté jetant la blague et la provocation :

— Mes complimens, mon cher !... Encore, toujours, de l’avancement ! Te voilà donc promu général en chef des mouchards !

Mais déjà commissaire et gendarmes avaient empoigné l’outrageant ricaneur. On le poussa dans un fiacre ; trois inspecteurs y montèrent après lui, et la voiture roula vers la rue des Saints-Pères.


VI. — L’AIMABLE P.-M. DESMAREST

Le ministère de la Police Générale, ou du moins la maison contenant ses bureaux, était situé dans la rue des Saints-Pères, à droite en allant vers la Seine, et presque en face de la rue de Lille. Le ministre, toutefois, n’y habitait pas. Abandonnant aux citoyens à cartons verts la bruyante et trop étroite bâtisse, Fouché avait sa résidence dans l’ancien Hôtel de Juigné, construit sur le quai Malaquais. C’était là, dans la quiétude et les senteurs de vastes jardins que l’homme à la figure blafarde menait sa vie d’ostentatrice simplicité ; là que, mari modèle, il partageait le lit conjugal de Bobonne Coiquaud, sa laide et féconde épouse ; là qu’il jouait au loto avec ses enfans, ou regardait, sans toucher les cartes, bostonner chaque soir quelques rares, mais dévoués amis. Une allée qui traversait son parc rattachait ses bureaux à l’hôtel du ministre ; les employés la parcouraient sans cesse, et l’on voyait ainsi un constant va-et-vient de hauts et puissans personnages, chefs, sous-chefs, commis principaux, secrétaires du cabinet, presque tous anciens prêtres ou ci-devant nobles : le bon Père défroqué Maillochau, l’exquis vicomte de Villiers du Terrage, l’amène chevalier Patrice de la Fuye, et autres malins exerçant leur métier dans la double maison de malice.

Mais le plus important de ces fonctionnaires était assurément le citoyen Desmarest, chef du « Bureau particulier, » et dirigeant la division des « Affaires secrètes. »

Inférieur à Fouché dont il n’avait en politique l’audace ni la maîtrise, mais l’égalant, au moins, dans la science des roueries