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policières, Pierre-Marie Desmarest était l’adroit imitateur d’un inimitable modèle. Homme de rien, produit de ses propres œuvres, fils d’un petit boutiquier de Compiègne, il avait porté la soutane ; prêtre au diocèse de Soissons, curé constitutionnel de Longueil-Sainte-Marie. De nos jours, les écrivains de l’Ultramontanisme se sont montrés impitoyables pour les prêtres assermentés, ces « curés patriotes » qui préférèrent jadis l’amour de la patrie au culte de la papauté. Pourtant, beaucoup de ces « jureurs, » chrétiens convaincus, voire fervens jansénistes, furent de nobles consciences, et le plus célèbre d’entre eux, l’évêque Grégoire, est demeuré, malgré les calomnies, une grande figure de grand honnête homme. Mais l’abbé Desmarest ne lui ressemblait pas. Sceptique, philosopheur, voltairien, et par surcroît indépendant, il dut être un assez mauvais prêtre. Il avait donc quitté son presbytère, prestement jeté la soutane aux orties, et chercheur d’aventures, — riz-pain-sel, commis d’hôpital, journaliste, — couru, en forcené, après la fortune. A la fin, cette insaisissable s’était laissé atteindre...

Certain jour, dans une maison de la rue Taranne, chez un munitionnaire, Desmarest avait rencontré une illustre vertu jacobine, — le citoyen Fouché qui déjà tripotait, s’enrichissait déjà. Ils s’étaient appréciés : même connaissance des cœurs, pareil mépris des hommes, et l’on était devenu bons amis. Un an plus tard, Fouché, ministre de la Police, installait près de lui ce sceptique, ce compère, l’ex-curé Pierre-Marie Desmarest. Un choix parfait, assurément ! Produit du séminaire, Desmarest savait l’orthographe, la grammaire, du latin, des belles-lettres et rédigeait un rapport avec élégance ; de plus, marié et chef de famille, il affectait d’avoir la tenue conjugale d’un Philémon adorant sa Baucis. Aussi, un avancement rapide pour ce savant, ce génie, ce parangon de moralité. Alter ego de son ministre et chef de son bureau particulier, l’ancien prêtre instruisait en 4802 les Affaires secrètes et, sous l’œil bienveillant d’un tel maître, dirigeait la Haute Police de la République.

Il la dirigeait à merveille. Ame compliquée, sinon perverse, Desmarest fut un type accompli de grand policier : ni violent, ni brutal, affable même et parfois compatissant, toujours bénin, toujours câlin, — mais retors, perfide, dupeur, sachant faire alterner l’espoir et la désespérance au cœur des malheureux qu’il avait sous la main, et, par le maniement de cette redoutable torture,