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Paris discourait, Paris pérorait ; Paris s’était éveillé... Et par les rues tortueuses, sur les pavés pointus, à travers les cavées des ruisseaux, la lourde diligence roulait vers la province, le corbillard sinistre emportait dans l’éternité : les vivans s’agitaient, les morts leur faisaient place.


Or, en cette matinée du 15 floréal, au moment où l’horloge des Petits-Pères annonçait neuf heures, une voiture s’engagea dans la rue Notre-Dame-des-Victoires. C’était un de ces fiacres du temps jadis, à la caisse de couleur jonquille, ventrue, pansue, trapue, — carrosserie monumentale que conduisait un cocher à carrick, chaussé de bottes hongroises, et coiffé du chapeau à cornes. Quatre hommes s’y trouvaient entassés : le brigadier Masson, les agens Dufrénoy et Schielten, le colonel Fournier. Serré de près par les trois inspecteurs, le prévenu portait encore son élégante toilette de l’Opéra, car l’ami Desmarest n’avait aucunement songé à lui ouvrir sa garde-robe. Le fiacre longea l’ancien couvent des Augustins, puis s’arrêta-au numéro 20, devant une maison d’apparence cossue. Assez vaste bâtisse, elle comprenait deux corps de logis bien distincts : sur la rue, plusieurs étages « d’appartemens bourgeois ; » dans la cour, des « garnis » et des chambres meublées. L’immeuble, de bon rapport évidemment, appartenait au citoyen Marie, médecin qui pratiquait la purge et la saignée, à la Plaine des Sablons. En ces temps-là déjà, le métier d’Esculape enrichissait son homme, et, même dans la banlieue, Hippocrate savait amasser des écus.

On descendit de voiture. Docile, jovial, très bon enfant, Fournier pilotait ses gardiens. Ils traversèrent la cour, gravirent un poudreux escalier et firent halte devant la garçonnière qu’avait louée le colonel. Les inspecteurs, roussins triés sur le volet, avaient reçu des instructions : s’emparer, quels qu’ils fussent, de tous papiers trouvés dans ce logis, pour les remettre ensuite aux mains de Desmarest. Ils se proposaient donc d’ouvrir ou de crocheter armoires et secrétaires, d’y fouiller, farfouiller, fourgonner ; puis, la rafle accomplie, de reconduire leur prisonnier au Ministère de la Police...

Petit et simplement meublé, le garni ne contenait que trois pièces : un vestibule, un salon-cabinet de travail, une chambre à coucher. Mais l’homme aux deux maîtresses, cet éclectique Fournier, n’y dormait pas souvent : il préférait trouver ailleurs