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peu satisfait maintenant de son escapade ; l’accueil acrimonieux de la douce amie l’avait mortifié : vraiment il aurait cru à plus d’amour ! Il regrettait aussi, collectionneur se dégoûtant de ses richesses, d’avoir, dans son bureau, amassé tant de poulets d’amour. Fâcheuse idée, ma foi ! Desmarest allait tenir à sa discrétion la pauvre Fortunée !... Pourtant, l’homme de police n’avait point paru mauvais diable : il avait promis de détruire toutes les lettres de femmes ; mais voudrait-il les supprimer, à l’insu de son ministre ? La chose était douteuse. En tout cas, on pouvait encore lui adresser une instante prière. Fournier prit donc la plume et, fort anxieux, écrivit la curieuse épître que voici :

« Le citoyen Fournier, chef de brigade, au citoyen Desmarest, chef du bureau particulier du ministre.

« Les procédés gracieux avec lesquels vous m’avez accueilli lors de mon arrestation, citoyen, me commandent de vous en adresser mes bien sincères remerciemens et des excuses également vraies pour m’être soustrait aux agens de police qui m’avaient conduit chez moi. En grâce, ne trouvez pas dans cette démarche une chose désagréable pour vous. Mais il est si contrariant, si effroyable de se voir dans les prisons, qu’un colonel de hussards est bien excusable d’avoir cherché à s’y soustraire...

« Permettez-moi aussi de réclamer de votre honnêteté et de votre bon cœur l’exécution d’une promesse que vous eûtes la bonté de me faire au regard des lettres bien étrangères assurément aux affaires politiques, et dont la moindre publication ou connaissance entraînerait des malheurs pour des personnes dignes de ménagemens. La paix de familles honorables en serait troublée et un scandale affreux retomberait pour longtemps sur elles...

« Chargé spécialement de l’examen de mes papiers, vous avez vu que ma manière de vivre a toujours été conforme à celle que je vous avais annoncée. Je vous prie donc, à genoux, citoyen, et aux plus forts titres, de détruire jusqu’aux moindres traces des lettres dont je viens de vous parler. Brûlez, citoyen, ces lettres de femmes : je ne saurais trop insister sur cette prière. »

Supplique assurément, pleine de délicatesse, appel de l’honneur à l’honneur, — un peu bien naïf, cependant ! La requête, d’ailleurs, ne fournissait aucune piste aux limiers de la rue des Saints-Pères, pas la moindre indication du refuge où se