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pâle et mort, qui baigne le globe lunaire, déployait vers l’Est ses grands espaces gelés…

Lorsque j’arrivai à Chalcis, il faisait nuit. Très tard, j’errai sur les quais tout bruyans de musiques. On dônait sur les terrasses, les tables refluaient jusqu’au milieu de la chaussée. La nuit était si belle et l’air si caressant !… Galéné ! disaient les anciens Grecs : une mer de lait, un vaste frissonnement d’or, où se déroulaient des volutes de soie blanche ! Les chaudes mousselines des brumes flottaient en arborescences confuses sur le canal d’Atalante, et, à travers ce jardin de vapeurs virginales, — fleur neigeuse d’un printemps, — au loin les montagnes de Thessalie profitaient vaguement leurs silhouettes de divinités géantes.

Jamais je n’ai goûté, comme ce soir-là, le simple bonheur d’être, — l’ivresse déboire le monde par tous mes sens épanouis. Près de l’endroit où je m’étais arrêté, dans un café populaire, des matelots dansaient au rythme navrant d’un orgue de Barbarie. Et cette pauvre ritournelle, qui tournait toujours dans le même cercle, me faisait mal, autant que ma propre conscience submergée de délices et impuissante à recueillir toute la joie éparse autour de moi…


IV. — L’ACRO-CORINTHE

Mégare, les Roches Scironiennes, la campagne de l’Isthme, — tout ce pays dénudé et poudreux prépare mal à l’entrée dans le Péloponnèse verdoyant. Il est vrai que la « grande île de Pélops, » — comme disaient les vieux poètes, — offre un double aspect : sécheresse et stérilité sur la côte orientale, qui semble le prolongement de l’Attique, fécondité grasse sur l’autre versant qui rappelle l’Italie et parfois nos régions du Nord. Corinthe, assise entre son riche vignoble et ses maigres champs d’oliviers, forme la transition.

On ne s’y arrête guère que pour visiter son Acropole. Et, pourtant, le paysage maritime qui l’environne est un des plus beaux qui se puissent voir en Méditerranée. On sent tout de suite qu’une grande ville de commerce et de transit devait naître là. L’ampleur du golfe, la courbe accueillante des rivages, la douceur du ciel, toutes les séductions d’une terre abritée et opulente y conviaient les marins et les marchands de