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tous les ports du monde antique. Corinthe fut la rivale de Carthage : proies magnifiques l’une et l’autre, qui tentèrent longtemps l’avidité romaine ! La prise de ces deux villes développa chez les vainqueurs une rage de destruction, une faculté d’engloutissement qui firent époque dans l’histoire. Le fameux « airain de Corinthe, » produit par la fusion de tous les métaux précieux qui se liquéfièrent au feu de l’incendie allumé par Mummius, symbolise à merveille l’amalgame de trésors et de civilisations qui se sont déversés dans ce réceptacle de l’Isthme, comme dans un creuset toujours en travail.

De tout cela il reste à peine un souvenir. Les quais du Léchaion, — l’ancien port de Corinthe, — ne sont plus qu’une plage déserte, un peu basse et marécageuse, où l’on cultive des concombres et des lentilles. Des vignes occupent l’emplacement de la ville ancienne, dont l’unique vestige est un petit village qui s’appelle encore Palaio-Korintho, la vieille Corinthe : quelques maisons de paysans, groupées sous les platanes, autour de Pirène, la fontaine de Pégase, et dominées par les escarpemens de l’Acropole !…

Cette acropole un est cône rocheux accessible d’un seul côté, par des sentiers de mulets : une véritable ascension !

Nous montons pendant près de deux heures, nous tournons à l’Ouest, au-dessus d’une gorge où pâturent des moutons, — et tout à coup, nous voici devant une ville du moyen âge, à peu près intacte, mais d’une apparence tellement vétusté qu’on ne lui donne plus d’âge. Ce pourrait être aussi bien une citadelle de l’époque classique. On distingue mal ce qui est byzantin de ce qui est vénitien ou turc. Une couleur uniforme revêt les pierres, une même décrépitude effrite les lignes ébréchées des constructions, et le rocher tout entier a l’air d’une immense bâtisse en ruines.

Nous passons sous une porte basse, cuirassée de plaques métalliques, hérissée d’énormes clous qui se détachent sous l’action de la rouille, qui branlent comme une lamentable ferraille. Puis, un large corridor obscur et coudé vers le milieu se replie, à la façon d’un souterrain, dans l’épaisseur du rempart. Il y a trois enceintes superposées, trois lignes de créneaux qui se resserrent ou qui se déploient, qui, d’un bond, escaladent les