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lune. Comme à Corinthe sans doute, dans le temple de l’Aphrodite-Pandémos, — on rencontrait là des femmes de tous les pays : des Gélules, des Numides et des Garamantes, des Siciliennes, des Gaditanes et des Baléares !... Tant d’êtres venus de régions si diverses et qui se livraient aux regards dans la nudité de leurs corps et la candeur de leurs mouvemens. On peut juger vulgaires ces fréquentations et ces plaisirs. Moi, j’y trouvais une poésie débordante. Les terrasses et les cours mauresques de la rue Barberousse me valurent les éblouissemens des grands voyages. Parmi ces belles filles brutales, au tintement rauque des syllabes étrangères, au chevrotement des guitares et des mandolines, je me suis promené dans Messine et dans Palerme, dans Grenade et dans Séville, sur les quais de Barcelone et de Malaga, dans toutes les villes où je logeais des chimères et du romanesque ! Et il y avait autre chose encore qui m’enchantait en ces momens : la féerie des soirs, les odeurs d’Orient, les effluves vivifians de la mer, les cris sauvages poussés tout à coup, au fond d’une ruelle obscure, par des hommes qui s’entr’égorgeaient... Ce cri africain, il grince encore à mes oreilles, aussi effrayant qu’à la minute, où, pour la première fois, dans l’hébétude et l’épouvante du sursaut, je l’entendis rugir tout près de moi, derrière le mur ! L’horloge sonna deux heures du matin, et, peu à peu, tout s’apaisa, comme fondu dans le noir, dans le calme stupéfiant !... Je le sais bien, il se mêlait beaucoup d’enfantillage à ces émotions très naïves, mais nulle part, depuis, je n’ai goûté une pareille ivresse, à la fois physique et intellectuelle, et jamais je n’ai perçu plus directement qu’en me penchant sur ces êtres farouches et beaux ce que dut être l’humanité des temps antiques...


Corinthe, très probablement, procura des sensations pareilles aux jeunes Romains qui débarquaient en Achaïe, à la suite d’un propréteur ou d’un proconsul. C’était la grande fête de leur puberté... Dans cette Grèce un peu molle et trop raisonnable, sans passions extrêmes, élégante et pauvre, — moyenne en tout, — les courtisanes célébrées par Pindare apportaient quelque chose du faste et de la couleur asiatiques, de la crudité, de la violence et de l’outrance africaines, — et, pour tout dire, elles mettaient une sorte de romantisme enivrant dans ce pays classique. Corinthe, qui fut le grand creuset des idées et des