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mœurs antiques, se prêtait merveilleusement à ces alliages. Et c’est pourquoi je ne me choque point devant les ruines composites qui m’entourent. Ici, c’est le lieu où les contraires finissaient par se rejoindre. Les époques et les souvenirs s’y mêlent, comme s’y sont mêlés autrefois les grands courans civilisateurs ou corrupteurs. Byzance, Venise, Stamboul, les temps légendaires, tout cela se présente sur un plan unique. Je ne suis pas surpris, lorsque je découvre Pirène, la fontaine de Pégase, de la voir dans un décor du moyen âge !...


Je l’ai cherchée longtemps, car elle est bien cachée !...

Je visitai inutilement tous les recoins de l’Acropole proprement dite. Enfin, dans la seconde enceinte, au pied de la muraille, je tombai au milieu d’une bande de paysans assis sur de grosses pierres et en train de manger. Parmi les rustres, se prélassait un pappas rubicond, l’air important d’un juge de paix sous sa toque et sa robe à longues manches. Les femmes, encapuchonnées de mouchoirs jaunes à fleurs, s’activaient autour des mulets qui portaient les provisions. C’était cette pieuse compagnie qui, tout à l’heure, chantait des psaumes dans la laide petite chapelle... Le pèlerinage terminé, ou le vœu accompli, on se sustentait à l’ombre, en attendant que le soleil fût moins chaud, pour redescendre...

Je soupçonnai tout de suite qu’il devait y avoir de l’eau a proximité, les Orientaux aimant à dîner au frais. J’interrogeai le pappas... En effet, il y avait une source à deux pas, — et cette source c’était Pirène ! Quelle joie !... Un enfant m’y conduisit, un gros verre à la main. Il me montra une brèche dans le rempart, — un trou sombre comme une grotte : « C’est là !... » En me courbant un peu, j’aperçus, au fond, un canal en maçonnerie, fort étroit, où circulait une eau très pure et d’une fraîcheur tranchante. J’avais tellement soif, et j’étais si harassé par la chaleur, que j’en oubliai tous les beaux contes mythologiques dont je m’étais muni pour cette docte visite. Je bus avec sensualité, sans penser à rien, comme un cheval qui a longtemps couru, comme devait boire Pégase lui-même, après avoir promené Bellérophon par les espaces...

Et puis les paysans m’appelèrent, m’obligèrent à m’asseoir. Il fallut fraterniser avec eux, accepter du vin résiné, du pain, un morceau de mouton rissolé à la broche, que l’un d’eux m’offrit