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mettre les choses au mieux, tout ce qu’on peut éprouver au milieu de ce terrain vague, c’est l’étonnement du badaud qui se demande : « Comment s’y est-on pris pour remuer toutes ces grosses pierres ?... » Quant au détail pittoresque des mœurs homériques, il est préférable de s’enfermer à l’hôtel et d’y relire tranquillement un chant de l’Odyssée. On y apprendra là-dessus beaucoup plus qu’à Tyrinthe !

Pour moi, ce que j’y ai vu de beau, ce sont les chardons. Les deux plates-formes des « châteaux » en étaient garnies avec une si magnifique profusion, qu’on ne pouvait faire un pas sans se piquer les mollets. Ces chardons étaient admirables. Jaunis, tordus, recroquevillés par le hâle de la canicule, ils revêtaient toute la surface de la citadelle, comme une immense rouille aux tons les plus délicatement nuancés et les plus somptueux. Quelques-uns, épanouis, arborescens, offraient de loin une apparence d’orfèvreries préhistoriques, de trépieds, de candélabres d’or. Et, çà et là, pareils à des plaques de bronze vert, des massifs de câpriers s’étalaient parmi les rouilles végétales. Toutes blanches, avec des pistils violets, les corolles légères semblaient des essaims de papillons posés sur les branches...

Vraiment, c’était presque beau, dans l’insignifiance des ruines !


Je m’en revins avec tristesse, et, chemin faisant, des pensées qui m’étaient déjà venues à l’Acropole d’Athènes se précisèrent dans mon esprit.

... Sans doute — me disais-je, — ces fouilles sont intéressantes, passionnantes même pour des archéologues, des professeurs, des architectes, tous les gens du métier. Et encore ! il serait peut-être préférable pour eux de s’en tenir purement et simplement aux gros livres qu’on écrivit sur ces fouilles, à ces copieuses monographies qui, avec leurs cartes, leurs planches, leurs illustrations, ont épuisé réellement la matière. Car la science est comme les sauterelles. Partout où elle passe elle ne laisse plus qu’un squelette. Elle vide les tombeaux, descelle les bas-reliefs, emballe les statues pour des musées lointains, détériore les fresques avec des réactifs chimiques, afin de les dessiner ou de les photographier plus commodément. Il ne reste rien à glaner derrière elle, et la triste carcasse, qu’elle abandonne.