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après avoir fait son butin, est bientôt envahie par les herbes, achevée par les intempéries et les accidens du plein air : c’est la dissolution complète !… N’importe ! J’admets qu’un champ de ruines, même dans cet état, soit encore instructif et curieux pour les professionnels désireux de contrôler les livres par l’examen des lieux.

Mais nous, — simples voyageurs ou artistes, — qui ne venons chercher en Grèce que de la beauté, qu’est-ce que cela peut nous faire ?… C’est une mauvaise plaisanterie que de nous convier devant des monceaux de briques ou de plâtras, des racines de murailles, des fossés et des trous, sous prétexte qu’il y eut, à cet endroit, une ville ou un monument illustre. Il serait loyal de nous avertir que nous nous fourvoyons, en essayant de pénétrer dans ces laboratoires d’érudition, où presque tout nous est inintelligible. Mais les archéologues ne se résignent point à ne travailler que pour la science. Ils veulent faire du bruit, eux aussi, attirer la foule, et, pour être plus sûrs de la retenir, ils flattent sa puérile curiosité. Ils remettent en place, ils reconstruisent : la tentation est si forte ! Et, comme ils ne peuvent pas reconstruire complètement, comme il y a toujours, dans leurs restitutions, une part forcée de conjectures et de tâtonnemens, ils dressent des monumens hybrides et inachevés qui ne ressemblent à rien, qui ne servent à rien…

À l’aspect de ces fausses ruines, — qui ne satisfont ni l’esthétique ni une science scrupuleuse, — on se prend à regretter ces autres fausses ruines, dont on raffola au temps de l’abbé Delille, — les ruines imaginées ou idéalisées par un Hubert Robert. C’était enjolivé et francisé !… D’accord ! (Moins cependant qu’on ne veut bien le dire !) Mais ces tentatives de l’aimable peintre étaient exemptes du pédantisme méticuleux et timide qui rend si gauches les actuelles restaurations. Ses sanguines et ses crayons témoignent d’un sens singulier de la grâce et, souvent, de la vraie beauté. Par-dessus tout, il nous donne l’impression que l’antique continue à vivre. Non seulement ses ruines sont parées comme un jardin, égayées d’arbustes, festonnées de pampres et de guirlandes, mais elles servent toujours à quelque chose. On s’y réunit pour causer, pour prendre le frais, on s’y promène pour le plaisir, sans la préoccupation d’une phrase de Baedeker à vérifier. Des laveuses suspendent leurs linges aux volutes d’un chapiteau, des paysannes étalent leurs légumes et