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Ils sortent de la petite bourgeoisie : les cas sont assez rares de médecins appartenant à des familles d’ouvriers ou de paysans. En effet, pour entrer dans les Écoles de médecine, il faut avoir passé les examens du baccalauréat, c’est-à-dire avoir fait les études classiques nécessaires. Or, sauf exception, bien entendu, ni les ouvriers, ni les paysans ne peuvent faire entrer leurs fils dans les lycées.

Quant aux fils de la très riche bourgeoisie, ils dédaignent ou redoutent la profession médicale, comme d’ailleurs toute profession scientifique. Ils estiment que les carrières où il n’y a guère à travailler sont les meilleures, et que le suprême bonheur est de se reposer sans avoir rien fait, pour tranquillement dépenser l’argent gagné par leurs pères. Je crois bien qu’ils se trompent, et qu’ils ont mal compris leur véritable intérêt. Mais je n’ai pas de leçon à leur donner : je constate seulement un fait indéniable, à savoir que nos Églises de médecine se recrutent dans la bourgeoisie moyenne ou peu fortunée.

Il en résulte que presque toujours les médecins, quand ils commencent leur carrière, ont besoin de leur métier comme gagne-pain. Il faut donc accepter cette idée, que le médecin exerce une profession qui doit le faire vivre, lui et les siens. Jusqu’à l’âge de trente ans, soit au lycée, soit à l’École, il n’a fait que coûter de l’argent à ses parens. En moyenne, les études médicales durent six ans, et, en moyenne, la vie d’étudiant coûte à peu près 3 000 francs par an. À ces 18 000 francs il faut ajouter les 12 000 francs d’études scolaires ; c’est donc une somme de 30 000 francs, soit un revenu de 1 200 francs, que représente le diplôme de docteur en médecine. Et, comme un ménage bourgeois, femme et enfans, a besoin au moins de 3 800 francs pour vivre, le médecin doit gagner 5 000 francs par an. Or, l’encombrement de la profession est tel que, dans bien des cas, il ne peut pas gagner cette somme. Souvent, dans de très petites villes, il y a cinq ou six médecins. Assurément, dans certaines campagnes, éloignées des grandes villes, il n’y a pas tant d’encombrement. Mais la clientèle est alors bien peu fructueuse ; les paysans n’appellent le médecin qu’aux dernières extrémités ; et d’ailleurs, ils sont pauvres : ils ne payent pas, ou payent mal.

Quant aux grandes villes riches, elles sont envahies par une population médicale surabondante. En certain quartier de Paris, il y a un médecin par 96 habitans !