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sa mémoire, lui interdisait, devant un dessein arrêté, de contredire le ministre dans une séance publique. Il s’était fait à cet égard une ligne ferme de conduite dont il ne se départit à aucun moment ; il se croyait tenu de donner à tous l’exemple du plus absolu respect hiérarchique. » Ce respect hiérarchique rend assez malaisé de discerner la part qui revient à Gréard dans les transformations successives que notre régime universitaire a subies depuis vingt-cinq ans. Il faudrait savoir exactement ce qu’il a conseillé, ce qu’il a accepté, ce qu’il a combattu, et ce n’est pas à lui, ou plutôt aux trois volumes qu’il a consacrés à l’histoire de notre enseignement secondaire ou supérieur depuis vingt ans, qu’il faut le demander. Les questions qui, en matière d’enseignement, ont le plus vivement passionné l’opinion publique n’y tiennent qu’une faible place. Mais on y découvre cependant l’esprit général qu’il apportait dans ces questions. C’était un esprit de mesure, de tact, de conciliation qui cherchait à résoudre les difficultés, et à prévenir les heurts, en frayant une route à égale distance des opinions extrêmes. Entre les systèmes les plus opposés, il trouve un moyen terme, et, tout en consentant aux sacrifices nécessaires, il cherche toujours à sauver ce qui peut encore être sauvé de ce qui lui est demeuré cher.

Telle fut l’attitude qu’il sut prendre et conserver dans les ardentes controverses auxquelles donna lieu, pendant la durée de son rectorat, la réforme des programmes universitaires. De 1880 à 1902, ces programmes ne furent pas modifiés moins de quatre fois. Mais si les programmes adoptés furent divers, la pensée qui les avait dictés demeurait semblable, à savoir de créer ou plutôt de favoriser, à côté de l’enseignement des humanités grecques et latines, sur lequel la France a si longtemps vécu, un autre enseignement, de quelque nom qu’on veuille l’appeler : enseignement spécial, enseignement moderne, enseignement classique français, qui, s’adressant à une autre clientèle, tendant à une autre fin, formerait, croyait-on, de jeunes Français mieux armés pour les luttes de l’existence et pour la concurrence entre les nations. À vrai dire, la pensée était moins nouvelle que ne le pensaient ceux qui menaient en faveur de ce nouvel ordre d’enseignement une aussi bruyante campagne. « Comme la connaissance des lettres est tout à fait nécessaire à une République, il est certain, écrivait Richelieu dans son Testament politique, qu’elles ne doivent pas être enseignées à tout le