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qui retrouvent au bout de toutes leurs paroles et de toutes leurs pensées l’image de leur maîtresse. »

Si Prevost-Paradol était amoureux de la politique, c’était parce qu’il voulait, par cette voie, arriver au commandement. Un jour qu’avec Maxime du Camp il traversait la grande allée centrale des Tuileries, d’où l’on aperçoit le Pavillon de l’Horloge, celui-ci lui demanda quel était son rêve, et Prevost-Paradol répondit avec exaltation : « Le maître de la France est là. Eh bien ! je voudrais être le maître de ce maître. » Pour s’imposer à ce maître apparent de la France, Prevost-Paradol ne voyait avec raison qu’un moyen, c’était de pénétrer dans les assemblées publiques. Là il aurait pu cultiver une faculté qu’il souffrait de laisser en jachère au dedans de lui-même, après en avoir recueilli, au début de sa vie, les premiers fruits. Ce don de la parole que les étudians d’Aix saluaient chez lui, il croyait le posséder et il n’avait pas tort. Il m’a été donné de l’entendre un jour, dans une réunion, et il était impossible de joindre plus de charme à plus de force, plus d’élégance à plus de chaleur. S’il avait eu l’occasion de déployer ce don, Prevost-Paradol ne serait pas arrivé à une moindre réputation comme orateur que comme écrivain, et il aurait connu les plus fortes jouissances qu’il soit possible à un homme de connaître. Elever devant des hommes assemblés une voix claire et sonore ; traduire aux uns leurs sentimens confus en des accens qui remuent leur cœur et leur arrache des applaudissemens ; faire passer peu à peu ces sentimens dans l’âme des incertains et les courber sous la persuasion ; s’imposer aux résistans par l’ascendant du talent et du caractère, leur tenir tête au besoin, opposer le calme aux violences, le sarcasme froid aux interruptions maladroites, le mépris insolent aux injures grossières, et en même temps donner par la forme une valeur durable à ces manifestations d’un jour, faire œuvre de lettré en même temps que d’homme d’action et, dépassant le but immédiat, atteindre presque à la postérité, telles sont les joies que procure l’éloquence, tel est le rêve que peut caresser l’orateur. Il n’y a nul doute que Prevost-Paradol n’ait aspiré à ces joies et n’ait caressé ce rêve, et avec d’autant plus d’ardeur que, par l’éloquence, il espérait arriver au commandement. « Le commandement, écrivait-il encore, n’atteint toute sa beauté véritable, il n’a tout son prix, il ne devient le digne objet de l’ambition humaine que lorsqu’il