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repose sur la persuasion, et qu’il nous est accordé par le consentement éclairé de nos égaux... C’est le libre assentiment des volontés qui donne au commandement toute sa douceur, et à l’ambition toute sa noblesse. » Pour exercer le commandement sous cette forme, une chose était nécessaire à Prevost-Paradol : c’était d’obtenir un mandat législatif que seul le suffrage universel pouvait lui conférer. Or le suffrage universel peut commettre bien des erreurs ; il peut se tromper dans ses choix, laisser de côté des mérites éclatans, accorder ses faveurs à des médiocrités, mais il a un mérite qu’on ne saurait lui refuser : il connaît les siens. Il sait distinguer entre ceux qui le subissent avec résignation, et ceux qui l’acceptent avec une conviction sincère. Prevost-Paradol avait la répugnance du suffrage universel. Il était né pour être le serviteur d’une monarchie aristocratique ou le citoyen d’une république oligarchique ; Anglais ou Athénien. La tyrannie du nombre le révoltait : « La foule, écrivait-il au lendemain du 2 Décembre, a autant de droits que de besoins, le droit de vivre, de boire, de pratiquer la jouissance du code civil, don paternel de la classe éclairée fait à des mineurs de la nation. Mais ouvrir le monde politique à des gens qui ne savent pas lire, à qui la moindre notion de droit individuel est étrangère et qui vont droit au despotisme, comme un âne au moulin, c’est, comme le dit le grand Balzac, « lâcher un taureau dans la boutique d’un faïencier. »

Les « mineurs de la nation » devinaient son instinctif mépris, et le suffrage universel ne se laissa pas fléchir par lui. A plusieurs reprises, il essaya de le séduire. Il n’y réussit jamais. A Paris, en 1863, malgré l’appui de Gambetta, qui montra dès ce jour qu’il se connaissait en hommes ; à Nantes, en 1869, il échoua, écrasé les deux fois entre un obscur candidat officiel et un candidat démocrate non moins obscur. Dans sa campagne de Nantes, il avait cependant déployé une activité qui faisait contraste avec ses habitudes un peu nonchalantes, et il fit montre des réelles qualités oratoires qui sommeillaient en lui. Au début d’une réunion publique, il dut attendre une demi-heure, les bras croisés, qu’on voulût bien lui laisser prendre la parole ; mais une fois qu’il l’eut prise, il la garda deux heures, parlant haut et clair, ne voyant plus rien que la chose à dire et l’effet à produire. « J’ai découvert avec plaisir, écrivait-il à son ami Ludovic Halévy, que c’était mon vrai métier ; j’ai été