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— Appelez ces messieurs, — puis, fort étonnée des trois coups de canon : — Qu’est-ce ? dit-elle.

— Calmez-vous, madame, répond Ménière, arrivé avec son confrère Deneux ; vous devez y être habituée : l’enfant d’une Altesse Royale ne peut naître sans qu’on tire le canon en son honneur.

Le bon docteur, ce disant, masque de son mieux la porte béante, d’où Bugeaud et ses témoins suivent les mouvemens de l’autre médecin.

Le procureur du Roi, le président du Tribunal, le commandant de la garde nationale, le commissaire civil, et l’abbé Descrambes, curé de Blaye, « toutes les autorités du coin, » ainsi que disait Chateaubriand, se carrent là, en effet, comme au spectacle ; puis ils entrent dès que Deneux a fini et le président du Tribunal, s’approchant du lit :

— Est-ce à Madame la Duchesse de Berry que j’ai l’honneur de parler ?

— Oui, monsieur.

— L’enfant nouveau-né, qui est près de vous, est le vôtre ?

— Oui, monsieur, cet enfant est de moi.

— De quel sexe est-il ?

— C’est une fille.

Le docteur Deneux prend alors la parole.

— Je viens, dit-il, d’accoucher Mme la Duchesse de Berry ici présente, épouse en légitime mariage du comte Lucchesi-Palli, prince de Campo-Franco, gentilhomme de la Chambre du Roi des Deux-Siciles, domicilié à Palerme.

Le procès-verbal, qu’au grand mécontentement de Bugeaud, le comte de Brissac et la comtesse d’Hautefort refusent de signer, est rédigé séance tenante. Après quoi, le curé ondoie la petite Anne-Marie Rosalie[1], et la pauvre mère s’endort d’un sommeil tranquille.

Seule, hélas ! elle ne se doute pas de l’effroyable scandale que vont causer ses couches, de l’universelle incrédulité qui accueillera l’annonce de son mariage et de l’étonnement enfin que provoquera ce nom de Lucchesi-Palli jeté tout à coup en pâture à la méchanceté publique.

Chose inouïe, amis et ennemis s’entendront, certes par des motifs bien différens, pour déshonorer l’accouchée.

  1. Anna-Marie-Rosalie n’a vécu que six mois. Elle est morte à Livourne le 19 novembre 1833.