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De la mansarde où elle s’était réfugiée à Nantes, chez Mme du Guiny, la Duchesse écrivait à ses amis, et ses amis lui répondaient. Or, parmi les papiers saisis, lors de son arrestation, et que l’on retrouve aux Archives nationales, figure une sorte de registre de correspondance où le nom de Lucchesi est inscrit de la main même de la Duchesse, à la date de 1832. Le comte Lucchesi représentait, à cette époque, le roi de Naples comme chargé d’affaires à La Haye. Une course en Hollande n’était pas pour effrayer l’audacieuse et amoureuse princesse.

Je sais bien que ce voyage, en dépit de la très claire allusion qu’y a faite le comte de Mesnard dans ses Mémoires[1], a été contesté, mais vraiment il ne saurait plus l’être depuis la publication de deux lettres que je transcrirai tout à l’heure ; il est confirmé, d’ailleurs, par ce curieux détail qu’en donnait la Duchesse elle-même.

Déguisée en paysanne, suivie d’une seule femme vêtue comme elle, Marie-Caroline était arrivée à Montmédy lorsqu’un officier, dînant dans la même auberge, la reconnut. Elle demeurait là fort troublée, quand lui la prit gaiement par la taille et lui souffla tout bas à l’oreille : « Rassurez-vous, madame, il n’est personne dans l’armée pour trahir une proscrite. » La princesse ajoutait qu’elle avait, à la grande joie de l’assistance, embrassé l’officier.

Mais j’en reviens aux lettres dont je parlais. Elles étaient ignorées de tous à Brunnsée, de M. le duc de la Grazia[2] lui-même, quand le vicomte de Reiset eut la fortune de les découvrir sous un monceau de vieux papiers auxquels personne n’avait regardé depuis la mort de Mme la Duchesse de Berry.

« Combien de temps me laisserez-vous en cet état, mon angélique épouse ? écrivait Lucchesi. Votre course rapide, qui vous a exposée à tant de dangers, a été pour moi un tourment de plus ; bien que je lui doive le bonheur de vous avoir revue.

« Je dois au monde et à vous de rester indifférent à tout ce qui vous touche ; et, même si vous étiez obligée de déclarer mon bonheur, vous voulez que mon nom reste ignoré. Quel sort est le mien ! vous, toute à votre devoir, moi, tout à mon désespoir !

  1. Souvenirs du comte de Mesnard, t. II, p. 335.
  2. Adenollo, duc de Grazia, prince de Campo Franco, fils aîné de Mme la Duchesse de Berry et du comte Lucchesi, a épousé Lucrezia Ruffo, des ducs de Bagnara, dont Il a eu sept enfans.