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la chambre dont il parcourut deux fois la longueur sans rien dire, sans même regarder l’arrivant. La Dauphine assise dans l’embrasure d’une fenêtre tournait le dos.

— Vous êtes porteur d’une lettre pour moi, dit enfin le Roi, où est-elle ?

La Ferronnays présente sa lettre. i

Le Roi en fait sauter le cachet, la parcourt...

— Si c’est pour m’apporter cela que vous avez fait un si long voyage, votre mission est remplie. Vous pouvez repartir et dire à la Duchesse de Berry que je ne la recevrai que lorsque j’aurai entre les mains les pièces que je lui ai demandées[1]. Il me faut la preuve positive de son mariage. Elle ne mettra jusque-là les pieds ni chez moi, ni dans les États Autrichiens. L’Empereur vous le dira lui-même, puisque vous avez aussi une lettre pour lui. Voilà ma seule réponse à la lettre dont vous vous êtes chargé.

Le Roi, d’une extrême pâleur en commençant son algarade, était devenu cramoisi ; son corps tremblait, sa voix était rauque... Il se laissa tomber dans un fauteuil...

— Votre Majesté, dit alors La Ferronnays, voudra bien remarquer que je n’ai pas prononcé une parole qui puisse lui faire supposer que mon intention soit de défendre, de justifier, ni même d’expliquer la conduite de Mme la Duchesse de Berry. J’estime qu’elle seule en a le droit et le pouvoir... Mais, Sire, lorsque la mère de M. le Duc de Bordeaux, à peine sortie de prison, a fait appela mon dévouement, n’aurais-je pas été ingrat de le lui refuser ?

Je n’ai fait à Madame aucune question. Je ne sais rien du contenu de sa lettre. Ma seule faute est d’avoir cru que je pourrais être l’aveugle instrument d’un rapprochement que je voudrais voir s’accomplir au prix de mon sang. Si cette présomption est un tort, Sire, j’en suis coupable, et j’en suis bien cruellement puni...

J’avoue d’ailleurs que j’ai craint que, dans un moment de désespoir, Mme la Duchesse de Berry, bravant toutes les conséquences d’un éclat, ne parvînt jusqu’ici sous un déguisement quelconque.

  1. Le Roi avait déjà deux fois, et par Chateaubriand et par M. de Choulot, fait inutilement cette demande, d’où sa méchante humeur d’avoir à la renouveler à La Ferronnays.