Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/928

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre leurs mains malhabiles. C’est un enfant, ce Zanetto, le petit chanteur florentin, que la belle courtisane, Silvia, refuse de prendre pour victime. Et nous pouvons ranger encore dans cette galerie d’enfans malades le héros de ce poème incohérent, Olivier ; mais ce beau ténébreux, qu’on voit s’écarter avec horreur d’une jeune fille parce que telle phrase indifférente dite par elle le fait ressouvenir tantôt d’une comédienne et tantôt d’une duchesse qui eurent des bontés pour lui, m’a toujours fait l’effet d’être surtout un sot.

Coppée a été l’un des poètes les plus amoureux que nous ayons eus : c’est bien ce qui explique son succès auprès des femmes et des jeunes gens. Comme ceux qui aiment l’amour, il en a compris et exprimé des formes très différentes ; et je ne sais si on en a fait suffisamment la remarque. Les Intimités retracent les souvenirs d’une liaison où il semble bien que les amans n’aient mis que leur goût du plaisir. Le jeune homme attend sa maîtresse qui viendra ce soir, et, dans son attente frémissante, il savoure par avance les premiers baisers à travers la voilette. Une fois elle a manqué à sa promesse ; et quand il la revoit, son bonheur* de la retrouver est si grand qu’il oublie même de la gronder pour tant de chagrin qu’elle lui a fait. Elles sont si douces, après la possession, les minutes de fatigue délicieuse ! Et dans la rue, on marche encore enveloppé de l’atmosphère de la femme aimée... C’est l’aventure de garçonnière, médiocre et banale : le livre ne vaut que par cette odeur de baisers qui y traîne, par la langueur sensuelle qui s’en dégage.

Toutefois, ne prenez pas ce poète de vingt-cinq ans pour un grand libertin. Dans l’instant même où il revit par le souvenir les voluptés coupables, il déclare qu’au fond il est resté naïf ; et nous le croyons sans peine. A-t-il rencontré une jeune fille et croisé son regard d’innocence ? aussitôt il s’émeut, son imagination entre en campagne et lui présente un tableau familial. On ferait un joli ménage de jeunes époux. On écrirait un livre auprès du foyer paisible. On lèverait par instans les yeux pour la voir aller et venir, allumer la lampe et remplir la théière... Ce thème est un de ceux que Coppée à le plus souvent repris ; et ce n’est pas du tout un thème romantique. Il aspire à l’amour dans le mariage, au bonheur bourgeois, le seul qui mérite d’être appelé le bonheur.

Une fois il espéra le conquérir. Ce fut le roman ou le drame de sa vie sentimentale. Le voici tel que je l’ai entendu conter aux lieux mêmes où il s’est déroulé, et tel qu’on le devine à travers les demi-aveux de l’Exilée. Le poète, déjà célèbre, se trouvait à Genève où il donnait avec