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et de ses Joyeuse. C’est dans cette ambiance littéraire, dans cette période aux limites forcément un peu incertaines, que Coppée donne les Poèmes modernes, la Grève des Forgerons, les Humbles, les Contes en vers. D’autres avaient pu s’essayer à ce genre avant lui ; mais il est le premier à en avoir découvert toutes les ressources, et il se l’est approprié en le portant à sa perfection.

L’idée première de cette sorte de poésie est parfaitement juste. Il est vrai que notre littérature a été longtemps trop aristocratique : trop de grands seigneurs, trop de gens riches, trop d’écrivains et d’artistes. Pourquoi la souffrance des petites gens n’aurait-elle pas elle aussi le droit de s’exprimer ? Mais on voit aussi bien quel est recueil. Ce n’est pas sans motif que la poésie, le théâtre, le roman nous ont de préférence entretenus des misères auxquelles sont en proie les privilégiés de ce monde. De grandes catastrophes, un décor somptueux nous garantissent contre la banalité, le terre à terre et la niaiserie. Mais allez donc prendre pour héroïne la nourrice dont l’enfant meurt au pays, pendant qu’elle allaite le nourrisson d’une parisienne, ou encore le petit épicier qui, tandis qu’il casse son sucre méthodiquement, songe aux ennuis de son triste ménage ! Aussi est-il intéressant de voir par quelle réunion de mérites Coppée a su triompher des difficultés inhérentes au genre.

D’abord, ses modestes héros, il les aime. Il a ce don de sympathie qui a fait si cruellement défaut à nos romanciers naturalistes. Ceux-ci, — le seul Daudet excepté, — ne nous présentaient leurs personnages que pour nous en exhiber la laideur et nous en inspirer l’horreur. Lui au contraire il a vu de tout près ces petites gens ; il a côtoyé leur existence, il l’a presque partagée ; et tant d’épreuves que chaque jour ramène pour les déshérités ont éveillé la pitié dans son âme douce et bonne. Coppée a compris que le réalisme doit être à base de tendresse, — grande nouveauté en son temps ! — ou plutôt il n’a pas eu besoin de le comprendre, et ç’a été moins une idée de son esprit qu’un instinct de son cœur. Ensuite, et par une conséquence naturelle, il a su donner à ses personnages une sorte de grandeur qui n’est ni factice, ni déclamatoire. Notez que ces humbles sont tous des résignés. Ils ne maudissent pas la destinée. Ils acceptent ce qui est. Ce fils, qui, pour rester auprès de sa mère, s’est confiné dans un petit emploi et qui, maintenant solitaire, achève de végéter comme un vieil enfant, ne songe même pas qu’il eût pu choisir un autre sort. Cette fiancée d’un marin disparu depuis des années et qui ne reviendra plus, n’imagine pas que la mort même de l’absent ait pu la libérer et qu’elle