Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES
TRANSFORMATIONS DE L’AGRICULTURE

LA CRISE VITICOLE
V[1]

Un matin de décembre 1870, étant sous-préfet dans un département de la Normandie, je vis entrer le pharmacien d’un gros chef-lieu de canton ; il me déclara solennellement qu’il avait un remède infaillible contre l’invasion prussienne, et tout aussitôt il m’exposa longuement sa panacée : brûler villages et villes non fortifiées dans un rayon de quatre-vingts à cent lieues devant l’ennemi, empêcher celui-ci de se ravitailler, tomber sur ses derrières, ses convois, faire le vide, et, toutes proportions gardées, donner un pendant à l’aventure de Napoléon Ier en Russie. J’étais fort jeune alors, j’écoutai cet homme simpliste avec une stupeur qu’il prit pour de l’admiration, et qui grandit encore, lorsqu’il me demanda d’envoyer son plan (il tira un gros manuscrit de sa poche) au gouvernement de la Défense nationale, lequel me saurait bon gré de mon zèle. Je répondis que je transmettrais hiérarchiquement le manuscrit à mon préfet, et l’auteur revint souvent pour s’informer d’une réponse qui tardait trop à son gré. L’anecdote se présente souvent à ma pensée quand je me trouve en face d’une question qui passionne les masses et les individus : beaucoup, hélas ! raisonnent de la même façon, chacun prône son onguent par syllogisme ou

  1. Voyez la Revue des 1er décembre 1904, 15 juillet 1903, 1er mai et 1er octobre 1906.