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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/416

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sorite, par appel à des sentimens plus ou moins nobles ; chacun, comme l’ancêtre de la Constituante, sacrifie les colonies aux principes, et si, parfois, d’aucuns confessent leurs péchés, c’est presque toujours sur la poitrine ou sur le dos du voisin : bleus, blancs, rouges, les partis ne sont que des passions et des intérêts qui agitent des mots, mots magiques à certaines époques, remplacés plus tard par d’autres mots qui ont à leur tour conquis la faveur de l’opinion publique, car les mots ont leurs destins comme les livres, et, tantôt potentats, tantôt détrônés, subissent les révolutions de la mode. Voici par exemple le problème de la viticulture qui se présentait à nous l’an dernier sous une forme aiguë : les docteurs Sangrado de l’économie sociale sont au chevet du malade, vendeurs d’orviétan, empiriques, utopistes de tout poil et de tout acabit ; ils exaltent leur chimère, et très peu sans doute soupçonnent la complexité ondoyante de telles questions qui renferment vingt questions graves avec des solutions où la synthèse ne s’inquiète guère de la thèse et de l’antithèse ; très peu se préoccupent de connaître les origines de la crise, de déterminer les responsabilités, d’aller au fond des choses, de témoigner aux foules souffrantes cette pitié éclairée, cette tendresse vigilante où le jugement et le tact n’ont pas moins de part que le cœur, cette divination savante qui sait entre cent choisir le véritable dictame, l’appliquer et l’imposer en inspirant confiance. Et à leur tour, les foules, les malades, car ils sont innombrables, ne distinguent guère entre les charlatans et les médecins, souvent même préfèrent les premiers. Si l’excès de misère les faisait crier comme une voiture trop chargée, produisant un des mouvemens les plus extraordinaires qu’on ait vus depuis longtemps, cette croisade de la faim qui mit en branle des armées de pèlerins à la voix d’un nouveau Pierre l’Ermite, ne croyez pas qu’ils aient un instant avoué les fautes commises, ni songé à les réparer eux-mêmes. Mais, à défaut de la foi religieuse, ils croyaient et continuent de croire à un Dieu économique, incarné dans l’Etat, le gouvernement et les Chambres, tout-puissant pour le mal comme pour le bien, capable de faire la pluie et le beau temps, M la vente des récoltes à haut prix, les salaires élevés ; et ils s’en prennent à lui comme les sauvages qui accusent leur manitou de leurs insuccès, ou comme cette princesse qui, toutes les fois qu’elle était mécontente de son amant, l’enfermait dans une prison froide et le mettait à la portion congrue jusqu’au lendemain.