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pouvait porter dans son sein la mort la plus affreuse ? Des agens français ont voulu fuir la contagion : toutes les issues leur ont été fermées. Ce fléau finira sans doute en Europe ; mais, à peine échappé comme par miracle à ce péril, il faut que je me hâte d’y exposer de nouveau ma femme et son nourrisson en les conduisant dans le pays qui en a infesté l’Espagne, ou que je les abandonne dans une terre étrangère.

« On me permettra sans doute de me précautionner, avant de m’embarquer, contre la presque certitude d’être pris. Je n’ai pas le désir d’aller en Angleterre ni comme réfugié, ni comme prisonnier, et la guerre qui vient d’éclater en Espagne en ferme la sortie à tous les vaisseaux. On ne m’objectera sûrement pas que, n’étant qu’un particulier, je ne puisse être soumis aux lois de la guerre ; tous les citoyens les plus étrangers à la profession des armes y ont été assujettis dans la guerre actuelle, et puis, celui qui a commandé des armées en Europe pendant dix ans ne peut plus être un particulier pour les ennemis de sa patrie. Cette vérité a été tellement sentie par le gouvernement français, que c’est sans doute le seul obstacle qu’on a trouvé à me faire partir d’un port de France.

« Je n’ajouterai plus qu’un mot aux observations que je viens de vous faire : il y a aujourd’hui quatre ans que je gagnais la bataille de Hohenlinden. Cet événement assez glorieux pour mon pays, a eu l’avantage de procurer à mes concitoyens un repos dont ils étaient privés depuis longtemps. Moi seul, je n’ai pas encore pu l’obtenir. Me le refuserait-on à l’extrémité de l’Europe et à cinq cents lieues de ma patrie ? »

On doit croire que cette lettre produisit les effets qu’en attendait Moreau. Il n’existe aucune trace de tentatives nouvelles de Fouché pour peser sur ses résolutions et, six mois plus tard, il était encore à Cadix. Il avait eu le bonheur d’y recevoir son fils, le 28 avril, et le désagrément d’y courir, le 5 mai, le plus grand danger. En visitant un vaisseau sur lequel il se proposait de prendre passage, il tomba à fond de cale, au risque de se tuer. Il en fut quitte « pour une meurtrissure générale. » Il dut, cependant, retarder son départ et, en fait, il ne s’embarqua que le 4 juillet, sur le New-York qui faisait voile pour Philadelphie.

Les notes qui nous servent de guide pour le suivre sont aussi laconiques, en ce qui touche sa traversée, que celles d’où sont tirés les détails qui précèdent. Nous y voyons qu’à la sortie