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français de Colombo. Il était trop tard pour reculer et la moindre hésitation pouvait le perdre. Myngoon, instinctivement, paya d’audace : d’un pas résolu il traversa la foule, sauta sur le navire et les yeux vigilans des détectives en faction ne surent pas le discerner au milieu de la masse grouillante des blanchisseurs, bijoutiers, fournisseurs, marchands de curiosités qui encombrent le pont des bateaux dans les escales asiatiques.

Il était déjà dans sa cabine lorsque M. Larmit arriva plein d’inquiétude pour prévenir l’intendant des incidens du voyage et lui annoncer la disparition du prince ; l’excellent homme éprouva une joyeuse surprise en apprenant la présence du prétendant à bord du courrier. Myngoon n’eut que le temps de le remercier avec effusion pour son dévouement, de lui témoigner son chagrin pour ses injustes soupçons, et le Tigre, larguant ses amarres, fit route pour Colombo.

Malheureusement, la police anglaise connaissait déjà l’aventure du cocher de Calcutta. L’histoire de La malle abritant un fugitif avait provoqué des commentaires fantastiques dans la population indigène ; malgré les précautions prises par M. Larmit, elle concordait avec de vagues rumeurs signalées par les agens de Chandernagor. Une enquête habile et rapide fit changer les soupçons en certitude et, deux jours après le départ, le gouvernement anglais était informé de l’événement. Il pouvait avoir de si graves conséquences que l’ambassadeur d’Angleterre à Paris reçut l’ordre d’attirer l’attention du gouvernement français sur « cet acte anti-amical. »

Le ministre des Affaires étrangères démontra aussitôt notre loyauté : à peine le Tigre arrivait-il à Colombo que le consul de France montait à bord et notifiait ses instructions au prince Myngoon : le commandant du navire était invité à s’opposer au transbordement du prétendant sur le courrier de Saigon et à le ramener à Pondichéry qui devenait désormais sa résidence. La déception du prince fut grande, mais il dut obéir. Malgré la sympathie que le commandant et le personnel du Tigre éprouvaient pour sa personne, l’ordre du gouvernement ôtait à sa tentative toute chance de succès. Myngoon ne pouvait plus en effet continuer sa route sur un bateau français dont l’accès lui était interdit ; le temps et les complicités nécessaires lui manquaient pour combiner sur-le-champ une nouvelle évasion. Après avoir vu disparaître vers le Sud le courrier sur lequel il avait