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du moyen âge, des Templiers ; Fauriel raconta qu’il en reste encore des souvenirs dans le midi de la France et des traditions qui leur sont toutes favorables et les représentent parmi les meilleurs des ordres religieux. Cousin dit qu’on avait trouvé dans les caves et souterrains de leurs couvens, dont il y a encore des restes je crois en Allemagne, des instrumens qui prouvaient qu’ils étaient adonnés aux dérèglemens et aux vices les plus païens (je n’ai pas compris cela, mais j’ai pensé que, comme il s’agissait de pas grand’chose de bon, il valait mieux ne pas demander). Il cita pour appui un Allemand dont j’ai oublié le nom, qui avait fait de grandes recherches. M. Fauriel dit que cet Allemand avait pris plaisir à les dénigrer et à les calomnier avec acharnement ; il cita Raynouard[1]. Cousin dit que Raynouard avait pris leur cause comme un avocat qui. veut gagner un procès sans s’inquiéter de la vérité...

... Ce soir fut pour moi assez doux. Je me dis : Mais que me manque-t-il ? Cousin venait généralement quelquefois cinq fois par semaine. Hélas ! et je n’étais pas satisfaite. Que donnerais-je à présent pour être encore à ce temps ? Un soir, vers cette même époque, c’était un samedi, il vint avant Fauriel, il n’était que sept heures et demie. Quelles délices ! il s’assit auprès de moi, me prit les mains comme autrefois tout le temps que nous causions, je ne me souviens pas de quoi. Cela ne dura qu’une heure. Le lendemain était dimanche, j’avais dit à Fauriel de ne pas venir parce que j’allais chez Mme Chassériaux un pou avant huit heures : on sonne, le cœur me bat à s’échapper, oh ! Dieu, c’était lui ! Maman alla s’habiller. C’était la première fois que je me trouvais seule avec lui depuis dix jours. J’appuyai ma tête sur son épaule, il me serra dans ses bras, je pressai sa tête sur ma poitrine, j’étais assise plus haute que lui, tantôt je regardais son visage et tantôt le ciel, et je joignais les mains avec transports, et je... mon Dieu ! de tels momens peuvent-ils se décrire ? Je me sens étouffée en y pensant. Nous eûmes près d’une heure. Pourtant, même cette heure avait son mélange d’amertume. Cousin allait parler de je ne sais quel livre. Je l’interrompis : « Oh ! ne pensons à rien ! » Il avait l’air heureux, mais pas aussi transporté que quelquefois avant, quand il me serrait contre son cœur et ne pouvait dire qu’une parole, c’était mon nom mille

  1. François Raynouard (1761-86), auteur de la tragédie des Templiers (1805), et des Recherches historiques sur les Templiers (1813).