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de tous les Bulgares, même de ceux qui vivent en dehors des frontières du royaume. L’Europe rendra justice à un peuple énergique, travailleur et brave en sanctionnant son indépendance et en reconnaissant la couronne royale à son souverain. Quant à la capitalisation du tribut de la Roumélie et au rachat de la ligne des Chemins de fer orientaux, ce sont questions d’argent, marchandages à débattre, non problèmes vitaux. Il est probable que c’est avec le concours du marché financier de Paris que l’on trouvera la solution.

Si les négociations actuellement engagées et la Conférence aboutissaient à ces conclusions, les diplomates pourraient écrire, comme Louis XVIII à Talleyrand le 26 novembre 1814, mais avec plus de vérité : « Je vois pour la première fois surnager des idées de justice. » Mais il resterait à éviter, pour l’avenir, le retour de pareilles crises en profitant des enseignemens que nous apporte celle-ci. Voici, croyons-nous, le plus essentiel.

Trente ans de crises européennes, de solutions bâtardes, provisoires et injustes sont sortis du Congrès de Berlin ; c’est donc que la méthode et les principes qui en ont inspiré les délibérations étaient mauvais : la méthode, c’était celle de la Sainte-Alliance, et les principes, ceux de Bismarck. Tout prouve que, dans l’Europe d’aujourd’hui, le temps d’une pareille politique est passé. Il serait intéressant que, de la future Conférence, commençât à se dégager la formule d’une politique nouvelle, plus soucieuse des vœux, des droits et du bonheur des peuples. La première application devrait en être celle-ci : les affaires des Balkans seraient traitées par les pays balkaniques ; ils formeraient une sorte de confédération où la Turquie régénérée trouverait sa place et qui serait assez forte pour résister à toutes ambitions étrangères, aussi bien à la descente russe qu’à la poussée autrichienne. La résistance inattendue que l’Autriche-Hongrie a rencontrée dans l’annexion de la Bosnie sera pour elle une très utile expérience : elle lui prouvera, au moment où elle entre dans les voies d’une politique nouvelle et à la veille d’un nouveau règne, que la force souveraine des temps actuels, ce n’est ni la subtilité des diplomates, ni la pérennité routinière des bureaucraties, ni même la puissance des baïonnettes : c’est, en dernier ressort, la volonté des peuples.


RENE PINON.