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pas tort. Firmiani est en effet un personnage fictif, inventé par Redan qui avait besoin de ce procès pour obtenir un délai de ses créanciers. Daygrand l’apprend de la bouche de Redan lui-même. Il en demeure stupide.

La situation ainsi posée, on va, au second acte, l’examiner sous toutes ses faces. Il est un peu traînant ce second acte, et sous aucune de ses faces la situation n’est brillante. Daygrand se trouve contraint de lier partie avec le filou qui l’a dupé, et se résout à prouver l’existence de Firmiani en versant au nom de celui-ci la somme qui fera taire les créanciers de Redan. Je paie, donc je suis. Reste à trouver sur-le-champ trois cent mille francs. A qui les demander ? Au banquier Leprieur qui a jadis été de l’intimité du ménage Daygrand ? Mais un entrefilet paru dans un journal de chantage insinue que Mme Daygrand aurait été la maîtresse de Leprieur…

Nous voici au centre même de l’action. Le troisième acte, très bien Mené et qui nous fait assister à un revirement des plus dramatiques, est d’excellent théâtre. Mandé par Mme Daygrand, Leprieur a, sur première réquisition, versé les trois cent mille francs. C’est un très galant homme, qui ne lésine pas sur un souvenir. Daygrand reçoit cette nouvelle comme on reçoit un coup de poignard. Ainsi ce qu’il avait tenu pour calomnie, était vérité ! Sa femme l’a trompé ! Le mari confiant et trahi se révolte. Il repousse avec horreur cet argent qui serait le prix de son infamie… Sur ces entrefaites, on introduit un de ses collègues de la Chambre, radical et méridional, délégué pour obtenir de lui qu’il donne sa démission de vice-président du groupe et renonce à son interpellation… Devant l’image concrète de sa chute, si impatiemment escomptée et qui va causer tant de joie dans Israël, Daygrand se redresse. D’un mot il confond le rival trop pressé de l’enterrer : « Firmiani existe ; il vient d’envoyer l’argent. » L’ambition a été la plus forte. L’homme politique a eu raison des scrupules de l’honnête homme.

Daygrand a fait mieux que de vaincre : il a triomphé. Son interpellation a pulvérisé le ministère ; il sera ministre, — et de la Justice encore ! On s’empresse pour le féliciter. Mais c’est bien à cela qu’il songe ! Son brave garçon de fils a provoqué en duc ! le journaliste, auteur de l’article outrageux pour Mme Daygrand. Et le jeune homme ne re\dent pas ! Et le journaliste est une espèce de spadassin, un forban de plume et d’épée ! Et les heures se passent dans une attente angoissée qui contraste avec la fadeur des écœurantes félicitations ! Un appel de téléphone : le fils Daygrand vient d’être tué en duel. Il