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nouvelle austérité du Roi, qui s’admirait pourtant lui-même : « Nous avons manqué ne plus avoir de comédies, écrivait-elle à sa tante le 23 décembre 1694. La Sorbonne a voulu la faire interdire pour plaire au Roi, mais on prétend que l’archevêque de Paris et le Père de la Chaise lui ont dit qu’il serait trop dangereux de bannir les divertissemens honnêtes[1] ; que cela pousserait la jeunesse à des vices abominables. De sorte que la comédie nous reste, grâce à Dieu. On assure que la vieille ratatinée du grand homme en sera effroyablement dépitée, car c’était elle qui avait inventé de la supprimer… Tant que la comédie existera, j’irai ; ils auront beau faire piailler contre elle du haut de la chaire. »

« Il y a quinze jours, on prêchait contre elle : on disait qu’elle animait les passions. Le Roi se tourna de mon côté et me dit : « Il ne prêche pas contre moi, qui ne va plus à la comédie, mais contre vous autres, qui l’aimez et y allez. » Je répondis : « Quoique j’aime la comédie et que j’y aille, M. d’Agen[2]ne prêche pas contre moi, car il ne parle que contre ceux qui se laissent exciter les passions aux comédies, et ce n’est pas moi ; elle ne me fait autre effet que de me divertir, et à cela il n’y a nul mal. » Le Roi ne souffla mot. »

L’année suivante, l’archevêque de Paris[3]au mieux à cette époque avec Mme de Maintenon, forma le dessein « doter la foire Saint-Germain pendant le carême[4], » à cause des lieux de plaisir où se pressaient la Cour et la ville, et de fermer dans le même temps les théâtres de Paris. Le Roi trouva cela exagéré, et Mme de Maintenon en avertit le prélat, qui abandonna son projet. L’archevêque prit sa revanche en 1696, à l’occasion d’un jubilé de quatorze jours qui commença le lundi gras (5 mars), et pendant lequel furent interdits les spectacles, danses, mascarades et « autres divertissemens[5]. » Défense aux « marchands de la foire Saint-Germain de donner à jouer[6], » ou à boire et à manger. Monsieur ayant osé se plaindre au Roi,

  1. Les mots en italiques sont en français dans l’original.
  2. Mascaron, prédicateur en renom.
  3. Louis-Antoine de Noailles, nommé archevêque de Paris le 19 août 1695, et beaucoup plus rigoriste que son prédécesseur.
  4. Mme de Maintenon à l’archevêque de Paris, lettres des 21 et 27 décembre 1695 Correspondance générale, IV.
  5. Sourches, 4 mars 1696.
  6. Dangeau, 5 mars.