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acquittés. Tant de fautes et de faiblesses avaient été commises que la capitulation finale du gouvernement était devenue presque inévitable : ce n’est donc pas cette capitulation elle-même qui nous inquiète, mais la série de faits qui l’ont préparée et finalement imposée. On avait déjà prononcé des ordonnances de non-lieu au profit des vrais provocateurs du mouvement, pour ne garder en prison que de modestes comparses dont la défense était devenue si facile que le moindre avocat aurait pu s’en charger avec la certitude de gagner sa cause. Enfin il s’était produit, à la fin de la dernière session, un imbroglio parlementaire qui affaiblissait encore la situation du ministère public. Un député avait proposé une amnistie pour les accusés de Draveil, et il avait demandé l’urgence pour sa proposition. C’est sur l’urgence que la bataille s’est livrée. Le gouvernement s’était prononcé contre, à la vérité assez mollement, et la majorité l’avait suivi. L’urgence était donc repoussée, mais à une majorité faible, et, les jours suivans, la conscience de quelques-uns de ses membres ayant été bourrelée de remords plus ou moins spontanés, un assez grand nombre de votes ont été retirés ou corrigés pour déranger la majorité et la faire passer d’un camp à l’autre. On pouvait donc être sûr que, dès la rentrée, la proposition d’amnistie serait reprise et votée : il aurait fallu, pour qu’il en fût autrement, que M. Clemenceau prît parti contre elle avec beaucoup d’énergie, peut être même qu’il posât la question de confiance. L’aurait-il fait ? Rien n’est plus douteux. Dans l’intervalle des deux sessions, M. Clemenceau a joué en effet un rôle nouveau, celui de candidat : il était rééligible comme sénateur dans le Var. Il a trouvé devant lui des électeurs radicaux socialistes, plus socialistes encore que radicaux, et très exigeans. On a fait campagne contre lui en l’accusant d’être l’assassin du peuple, le massacreur des ouvriers, etc. Il a compris la nécessité pour lui de faire des concessions, et il a laissé très clairement entendre qu’on était à la veille de l’amnistie des accusés de Draveil. Cette amnistie était devenue la rançon de l’élection de M. Clemenceau. Au moment où l’affaire venait en cour d’assises, le procureur de la République a demandé son renvoi à une session ultérieure, et la mise en liberté des accusés. Ceux-ci sont revenus à Paris en triomphe : ils ont été reçus par M. Jaurès, assisté de M. Hervé, dans une réunion où on a fortement vilipendé le gouvernement, en déclarant bien haut qu’on ne se repentait de rien et qu’on allait continuer. C’est ainsi que M. Clemenceau a été remercié de son geste généreux : mais il a été réélu.