Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’honneur délicat d’arrêter des propositions transactionnelles que nous demanderions ensuite à l’Autriche, aux royaumes ou principautés balkaniques et finalement à la Porte, de vouloir bien accepter ? C’est une mission très flatteuse qu’on nous attribuerait là ; mais, pour la remplir, il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées, il faut encore que ces idées soient jugées bonnes par les autres ; par conséquent il faut les essayer sur eux, les leur soumettre, en un mot causer. Alors, si l’entente s’établit, pourquoi ne pas agir en commun, avec une autorité qui serait évidemment plus forte puisqu’elle serait collective ? Pour résumer, il y a là deux difficultés : la première s’attache à une action isolée, la seconde à la définition et à la limitation des puissances désintéressées. Dans une conférence, où on se trouverait en présence les uns des autres, un échange de vues se produirait plus naturellement, et il en résulterait, plus naturellement aussi, des groupemens dont l’action réciproque s’exercerait avec efficacité ; mais, dans l’ordre dispersé où nous sommes, tout est plus difficile, et nous avouons ne pas voir très bien comment les nations dites désintéressées pourraient intervenir, et surtout comment l’une d’elles pourrait le faire isolément.

Pourquoi l’Allemagne, qui paraît nous avoir incités à entrer dans cette voie, n’y entre-t-elle pas elle-même ? Il est facile de le deviner : c’est que son action est liée à celle de l’Autriche, puissance intéressée au premier chef, et qu’elle craindrait, soit de déplaire à l’Autriche, si elle n’était pas tout simplement son second, aussi brillant d’ailleurs qu’on voudra, soit d’être suspecte à certaines autres puissances, si elle se bornait à être l’interprète des intérêts austro-hongrois. Mais si l’Allemagne a des obligations envers l’Autriche, nous en avons envers la Russie : il y a de l’analogie entre nos situations respectives. Notre désintéressement ne saurait aller jusqu’à nous détacher des intérêts de notre alliée. Nous pourrions donc devenir suspects à notre tour. Les vues générales exposées par M. Isvolski dans son discours à la Douma, si elles ne peuvent soulever de notre part aucune objection, pourraient fort bien en provoquer ailleurs. M. Isvolski a esquissé à grands traits un système politique qui consiste à établir entre les petits États balkaniques, Serbie, Monténégro, Bulgarie elle-même, Grèce peut-être, une solidarité intime, c’est-à-dire une union politique, qui s’exercerait sous l’égide de la Porte. Celle-ci deviendrait la protectrice des nations qui se sont détachées d’elle par des démembremens successifs et ont reconquis leur indépendance. C’est là une haute pensée, mais elle est sans doute assez loin de sa