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Ces mesures, louables par elles-mêmes, réalisées avec bonne grâce, impressionnaient bien le public. « Louis XVI, écrivait le nouvelliste Métra, semble promettre à la nation le règne le plus doux et le plus fortuné. » La joie et l’espérance allaient s’accroître encore, à quelques jours de là, par le renvoi de l’un des hommes les plus impopulaires qu’eût légués le feu Roi, renvoi où chacun voulut voir le gage et le présage d’une épuration plus complète.


Armand de Vignerot-Duplessis, duc d’Aiguillon, arrière-petit-neveu du cardinal de Richelieu, avait eu la mauvaise fortune d’attirer sur sa tête l’inimitié des trois partis les plus puissans, les plus bruyans surtout, qui, dans ces derniers temps, dirigeassent l’opinion. Il était la bête noire des amis du duc de Choiseul, dont il avait hâté la chute et recueilli la succession ; il était en horreur aux partisans de l’ancien parlement, à raison de ses démêlés avec La Chalotais, auxquels on rattachait le coup d’Etat de Maupeou ; il était également brouillé avec les philosophes, qui, sans motif fondé, voyaient en lui un agent secret des Jésuites. Par un malheur plus grand, c’était pendant son ministère qu’avait eu lieu l’acte le plus inique qui eût déshonoré la politique européenne, le dépècement de la Pologne entre l’Autriche, la Prusse et la Russie. Rien qu’en cette occasion il n’eût guère commis d’autre faute que d’en être informé trop tard, il portait cependant la peine de ce qu’il n’avait pu empêcher ; car la malchance, en politique, se paie souvent plus cher que la malhonnêteté.

Parmi tant de déboires et malgré les attaques acharnées sur son nom, on doit, en bonne justice, reconnaître au duc d’Aiguillon certaines qualités d’homme d’Etat. Il était actif, laborieux, d’intelligence alerte. Méthodique et observateur, il possédait le maniement et le discernement des hommes, s’entourant, dans chaque branche, de spécialistes éclairés dont il prenait l’avis et utilisait l’expérience. Il avait pu ainsi, bien que « novice en politique, » supporter sans faiblir le poids de deux lourds ministères, mener de front la guerre et la diplomatie. « Les ambassadeurs étrangers, dit l’abbé de Véri[1], reconnaissaient tous la manière douce, juste, toujours ouverte, dont il les recevait,

  1. Journal. — Passim.