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Aux termes de respect qu’ils affectaient d’abord d’employer avec lui : « Je ne veux pas, objectait-il, que vous m’appeliez des noms de Roi et de Majesté ; je perdrais trop au titre de frère auquel vous m’avez accoutumé. » Il est vrai que le Comte d’Artois s’émancipa si vite qu’il dut subir un jour une dure réprimande de Maurepas : « Au bout du compte, s’écriait alors le jeune prince, s’il est roi, je suis son frère ; que peut-il me faire ? — Vous pardonner, Monseigneur, » répondait le ministre[1]. Somme toute, cette Cour adolescente, pleine de simplicité, de bonhomie, de belle humeur, plaisait généralement à ceux qui en contemplaient le tableau, et les moins bienveillans n’y trouvaient à reprendre que cet heureux défaut dont corrigent les années. « C’est le règne de la jeunesse, soupirait Mme de Boufflers. Ils croient qu’on radote quand on a passé trente ans ! »


IV

En ces débuts pleins de promesses, ce qui faisait encore défaut, sans que nul y parût songer, c’était un plan d’ensemble, un programme de gouvernement. Changer le personnel, infuser graduellement dans un organisme affaibli un sang pur et vivace, c’était sans doute l’œuvre la plus pressante, et Louis XVI ni Maurepas n’entendaient faillir à cette tâche. Mais, dans la crise dangereuse qui menaçait la monarchie, la probité et la capacité des hommes seraient des remèdes sans vertu, si l’on ne sentait au sommet une pensée directrice et la volonté ferme d’appliquer des principes étudiés à l’avance. Deux partis différens s’offraient au choix du Roi, dont aucun n’était sans péril, mais qui, suivis avec persévérance, auraient pu l’un et l’autre consolider, prolonger tout au moins, l’édifice vermoulu des vieilles institutions françaises. On pouvait essayer de conserver le moule ancien et les formes traditionnelles, en se bornant à réformer quelques abus crians, à remplacer quelques rouages usés, à introduire dans l’administration l’ordre et l’économie, et vivre ainsi au jour le jour, sans grande gloire et sans grand éclat, mais avec chance d’éviter les écueils et d’échapper aux catastrophes. On pouvait également, si l’on croyait avoir assez de force et de courage, rompre avec une part du passé, trancher hardiment dans le vif,

  1. Chronique secrète de l’abbé Baudeau.