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toujours dignes, correctes sans raideur, commandent une déférente sympathie ; la figure fine, entièrement rasée, s’auréole d’une large couronne de cheveux blancs ; le regard est vif ; de toute la personne se dégage une impression de vigueur intellectuelle, de ténacité réfléchie, de confiance en soi, que tempère une indulgence sans ironie pour autrui. Politiquement, sir Wilfrid est à l’heure présente le grand Statesman de l’Empire ; quand les Premiers coloniaux se réunissent à Londres, il est toujours le président effectif des réunions mêmes où il n’occupe pas le fauteuil ; il s’exprime aussi facilement en anglais qu’en français, toujours clair, persuasif par l’accent autant que par la parole. « Qui donc, disait récemment à Londres un haut personnage politique anglais, pourrait renverser Laurier, cet homme d’Etat connu dans le monde entier ? — Mais lui répondit-on, pareille mésaventure atteignit bien naguère Gladstone, en Angleterre. — Soit, mais montrez-moi donc le Disraeli ou le Salisbury du Canada ! »

Telle est bien, en effet, la situation. En face de sir Wilfrid, le leader des conservateurs, M. R. L. Borden, manque de relief ; ses traits un peu durs, sa grosse moustache, sa mise sans recherche n’imposent pas à la multitude ; c’est un travailleur, un homme instruit, un debater opiniâtre à la tribune ; il a beaucoup d’amis, son caractère inspire confiance, mais ses qualités ne sont pas d’un entraîneur. Aussi bien, sur quoi aurait-il pu faire porter l’effort de sa campagne, comment intéresser les électeurs contre le cabinet libéral ? En matière de tarifs douaniers, sir Wilfrid ne lui a pas laissé la ressource de protester contre des relèvemens de droits, et de rallier contre les industriels protégés la masse des consommateurs ; il s’est déclaré opposé, en effet, à tout readjustment protectionniste d’un tarif déjà suffisant. En matière de transports, il est bien vrai que la construction du deuxième transcontinental, le Grand Trunk Pacific, coûtera plus cher que les libéraux ne l’avaient prévu, ou du moins ne l’avaient dit ; mais le G. T. P. a pour lui qu’on le construit rapidement, et que ses tronçons achevés contribuent, dès cette année, à déverser vers le Saint-Laurent les grains de la Prairie. En matière d’immigration, des contrats mal surveillés ont amené au Canada quelques centaines d’undesirable, mais combien d’autres immigrans, et bien plus nombreux, sont établis et en voie de devenir citoyens canadiens !

Faute d’une campagne de principes, on se résigne à une