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champ ouvert devant la volonté et comme un théâtre où l’intelligence peut lire les lois de l’action. La nature n’est plus un thème inépuisable à la disposition de la sensibilité. Que nous sommes loin du lyrisme romantique ! La relation de la nature et de l’homme redevient toute positive et pratique : celle de Robinson Crusoé et de son île, de l’Indien et de sa prairie. C’est ainsi que Gisborne, « des Bois et Forêts, » est en harmonie avec son rukh. Comme tout bon agent de ce service, « il s’avise de plus de choses que n’en enseigne l’art seul du forestier ; il apprend à connaître le peuple et le régime de la Jungle, lui qui rencontre le tigre, l’ours, le léopard, le chien sauvage, et tous les cerfs, non pas une fois ou deux après des jours de battue, mais à chaque pas au cours de ses travaux. Il passe beaucoup de temps en selle ou sous la tente, — ami des jeunes plants, compagnon de rudes rangers et de traqueurs velus, — jusqu’à ce que les bois, qui témoignent de ses soins, le marquent en retour à leur ressemblance, et qu’il cesse de chanter les gaillardises françaises apprises à Nancy, pour devenir silencieux parmi les choses silencieuses des sous-bois[1]. »

Et cette connaissance est seule capable de régler l’activité. Car nos énergies risquent de rester désemparées, si le monde qui les suscite ne les ordonne pas. Quelle harmonie, au contraire, quand le même appel les éveille et les oriente ! C’est précisément ce qu’il y a d’admirable dans la « loi de la Jungle. » M. Rudyard Kipling résume et symbolise en elle l’accord lentement formé qui se manifeste à la fois par les instincts des êtres ci par les lois des choses, cette parfaite harmonie de l’être et du milieu qui dans la nature s’appelle ordre et dans la conduite sagesse. « La loi de la Jungle, — qui est de beaucoup la plus vieille loi du monde, — a prévu presque tous les accidens qui peuvent arriver au Peuple de la Jungle : et maintenant, son code est aussi parfait qu’ont pu le rendre le temps et la pratique. » Un code ainsi élaboré est l’expression de l’ordre même des choses, qui s’y reflète et s’y reconnaît. La sagesse de l’instinct correspond à cet ordre universel, et l’énergie de l’animal est

  1. MANY INVENTIONS. — Dans le rukh. (LA PLUS BELLE HISTOIRE DU MONDE). Comment ne pas rappeler ici l’œuvre admirable de M. Thomas Hardy, The Woodlanders, ou l’action de la nature sur l’homme est manifestée avec une puissance dont on ne trouve peut-être pas l’égale en dehors du roman anglais ? — Voyez la Revue du 1er juillet 1906.