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je convenais d’un signe (un coup de règle sur la table, par exemple), qui faisait interrompre la phrase entamée, et il était entendu que mon lecteur devait reprendre plus loin, suivant la nature du livre ou au début de la phrase suivante, ou au prochain alinéa, ou cinq ou six lignes plus bas. Mais ces remèdes étaient médiocres, et ils demandaient à être employés avec beaucoup de réserve. Une autre difficulté est que des yeux d’emprunt n’ont jamais la docilité de ceux qui sont directement gouvernés par notre volonté. Un secrétaire, quelque dévoué soit-il, se lasse d’une besogne infiniment monotone et dont l’intérêt lui échappe. Je ne cherche donc pas à diminuer les difficultés qu’un aveugle rencontre dans de pareils travaux. Mais à tout prendre, ce ne sont que des difficultés, non des obstacles infranchissables. Pour en venir à bout, il suffit d’un peu plus de patience, d’un peu plus de persévérance, et voilà tout.

Les recherches de chronologie ont pu se faire de la même manière, et quand les enquêtes de sources et de chronologie ont été achevées, il ne restait plus qu’à concentrer tous leurs résultats à les ramasser, à les condenser, pour en tirer les conclusions qu’ils comportaient, et éclairer à leur lumière l’évolution de la pensée de Montaigne. Ce n’était plus qu’une affaire de réflexion, besogne agréable entre toutes parce qu’elle se passait de livres et de tout secours étranger, parce qu’elle était tout intérieure et ne dépendait plus que de moi seul.

Pour sa lente maturation mes fiches en Braille étaient l’aliment nécessaire et suffisant, et j’ai dit combien le maniement m’en était aisé. Ici, je crois vraiment que l’aveugle ne souffre d’aucune infériorité, et plus sa faculté de concentration est exercée, plus sa tâche est facile.

Vient enfin le travail de rédaction. Tant d’aveugles ont publié et publient des articles et des travaux remarqués, que je n’ai rien de bien nouveau à dire sur ce sujet. La rédaction dans un ouvrage d’érudition ne présente guère plus de difficultés que pour un ouvrage de vulgarisation. Elle exige seulement plus de précision ; elle comporte des nombres, des dates en quantité, toutes choses qui réclament un soin méticuleux. Elle suppose surtout une masse de notes dans le bas des pages, de références aux textes, de pièces justificatives. Tout cela peut surprendre à première vue. Pourtant, grâce aux notes en Braille, il est toujours possible de parvenir sans trop de peine à une exactitude