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authenticité sans précédens. « L’aspect de l’Acropole donne, avec l’impression de vastitude, celle de la rude étreinte d’une défense construite par la nature, complétée par les hommes et où plane le double prestige du prêtre et du roi. L’architecture est préhistorique et préhellénique. Les armes, surtout celles des autochtones sont lourdes, silex et airain ; les vêtemens pittoresques et très ornés ; le fard, les couleurs vibrantes sont la règle. Les hommes sont tatoués de fleurs ; les femmes rappellent par les robes, les bijoux, les types étrangement vivans, retrouvés dans les fouilles de Cnossos, de Phæstos, en Crète. » Il est vrai que Sophocle ne semble pas s’être préoccupé d’encadrer ses tragédies dans le décor de la préhistoire ni de tatouer de fleurs ses personnages, n’ayant pu encore mettre à profit les fouilles de Cnossos. C’est même une remarque très curieuse à faire que le drame antique n’ait pas usé d’oripeaux. Les personnages de la scène y portaient des manteaux et des tuniques, comme les spectateurs des gradins. A voir les uns et les autres, on avait l’impression qu’ils n’étaient séparés par aucune différence essentielle. C’étaient des hommes s’intéressant aux souffrances d’autres hommes. On sait également, par tant de railleries qui en ont été faites, ce qu’était cet « habit à la romaine » dont Racine habillait bravement ses Grecs. Depuis le XVIIe siècle, ou plutôt depuis la réforme de Voltaire, on s’est efforcé de donner aux personnages de l’antiquité des costumes d’une exactitude minutieuse. Et maintes fois on nous a conviés à admirer l’effort de savantes reconstitutions. Ce n’était encore, au dire de M. Jules Bois, que fantaisie et convention toute pure. L’archéologie est une science éminemment changeante et successive. Il faut tenir compte de ses résultats pendant qu’ils font autorité, comme on profite des remèdes le la médecine pendant qu’ils guérissent. M. Bois est sûr de son archéologie. Nous n’avons garde de la lui contester, d’autant que cela nous est si indifférent !

Donc les décors et les costumes sont du temps ; mais les âmes, les idées, les sentimens, les actes n’en sont pas. Ce seraient plutôt des âmes de maintenant, des idées d’aujourd’hui ou même d’après-demain. Le second caractère de la tragédie « vivante, » suivant la formule de M. Jules Bois, consisterait, essentiellement à prêter une mentalité du XXe siècle après Jésus-Christ à des personnages du XXe siècle avant notre ère. Quarante siècles d’anachronisme contemplent les personnages de la Furie. Le contraste ne manque pas de saveur. Seulement, M. Jules Bois est-il bien l’inventeur du genre ? On n’a pas oublié un drame, lui aussi en vers, qui fut joué à l’Odéon